Blog littéraire, artistique de Pascal Lamachère

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Balise - chapitre 1

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jeudi, janvier 15 2009

Suite 4 et fin chapitre 1 du roman à suivre 'Les pages déchirées' (partie 5)



Pour (re)lire la quatrième partie cliquez ici


Dehors, la chatoyante faisait frémir les rues animées de couleurs. Après quelques pas séparant l’antre de son immeuble de la route, le chineur de plume se figea. Les tutures et compagnie semblèrent l’inviter à se joindre à leur danse motorisée. Greendle se sentit attirer et fit un pas, puis deux… puis hésita, s’arrêta comme un automate qui a fini sa série de mouvements. Il était à deux mètres de la crêpe humaine, le regard perdu dans le vide. Il se tourna dans la direction opposée à Saint-Sernin, se figea de nouveau. Une drôle de sensation le submergea, un peu comme s’il  venait d’avoir une prémonition indescriptible, dont seul comptait la répulsion. L’anglais tressauta et secoua la tête, se retourna dans la direction qu’il avait prévu de prendre… et la suivit.

« Lorsque la lueur des possibles est voilée,
un chemin unique a été pris, une ligne tracée
et il n’est plus possible de faire marche arrière,
reste plume, témoin du retournement de terre… »

Greendle passa par le jardin des plantes, se mit à flâner lorsqu’approcha la statue en hommage à Saint-Exupéry et à son petit prince. Un groupe de jeunes jouait au rugby non loin, en grande partie sur la pelouse. Il porta son regard de la statue à leur ballon ballotté d’une main à l’autre, « déconnecta » son oreille saturée par les appels au ballon des uns et des autres, les conseils de placement des capitaines et entraîneurs de fortune, concentra ses sens sur la vue. Il la dirigea vers le ciel. Des anges lui semblèrent danser dans les interstices des nuages…

Quelques oraisons plus loin, le photographe-reporter se planta un instant sous la branche d’un arbre, subjugué par quelques fleurs aux alentours. L’ovale échappé des mains d’un joueur arriva dans sa direction. Il essaya d’apprécier la trajectoire de manière à bien le réceptionner et se rendit compte qu’il était déjà parfaitement placé. Lui avait-on sciemment envoyé le ballon ? Le fruit du hasard ? Sans plus pousser l’enquête, il rendit l’objet à l’envoyeur et ne se sentit pas de rester…

Au moment où notre chineur arriva sur la place, en face de l’église, les cloches sonnèrent 11 h et… ? Il réalisa qu’elles rythmaient aussi les quarts d’heure. Il lui sembla que ce fut la première fois qu’il y prêtait attention. Celle-ci passa des cloches à un trio. Trois couvres chef de pirates sortirent d’un bar et vinrent dans sa direction. Greendle secoua la tête, essayant de chasser les bribes de son dernier cauchemar. Il fut aidé par la vision d’une fleur asiatique qu’il effleura. Il en fut plus troublé. En plus du souffle coupé, son cerveau se liquéfia, il devint tout pâle, mais pour une sensation bien plus agréable. Le battement aurait pu paraître éternel si sa « raison » n’avait refait surface. Il détourna le regard, se dirigea vers l’emplacement de mister Shakire Jackson.

Toujours assis aux milieu de sa « boutique de rue », le vendeur aux merveilles enrubannées par des mots - des histoires à dormir sur une page des milles et une nuit – était en fin de conversation avec une jeune dame en robe pourpre portant sur la tête un chapeau assorti.

- J’vous assure que ça les vaut ! M’enfin, tant pis, j’ai un acheteur pour la plume qui m’attend ! Si vous ne prenez pas le lot, ça vous passera sous la page ! asséna Shakire en montrant Greendle de la main.

- Je… euh… Si vous trouvez un pigeon pour ça, tant mieux pour vous ! Moi, c’est pas mon affaire. Au-revoir ! Conclut la dame sur un ton hautain après s’être tournée dans la direction de la main.

- Bye belle dame ! Beau jour maille lord ! Vous êtes vous bien enivré ? Avec le temps qu’il fait aujourd’hui, vous avez pas fini ! s’empressa de rebondir Shakire, sans se dépareiller de son air jovial mais avec un grain qui trahissait sa déception de laisser filer une potentielle cliente.

Greendle se sentit mal à l’aise. L’air de rien, il venait d’être dévisagé avec un regard  qu’il avait ressenti comme légèrement dédaigneux et par une bouche qui l’avait étiqueté comme potentiel pigeon. Il ne laissa cependant pas transparaître sa susceptibilité et afficha un sourire poli. Il ne répondit néanmoins pas tout de suite. Ses noisettes verdâtres se tournèrent vers la plume dorée, son corps se dodelina sous l’effet de son envie de s’en saisir.

- Merci de votre… so… sollici… tude ? Je… Euh… On peut passer les amabilités ? J’ai vraiment envie de cette plume mais il m’en coûterait de devoir me débarrasser de trésors pour un lot que je ne désire pas ! souffla-t-il presque.

… La discussion fut plus rapide et le dénouement plus heureux que notre chineur ne l’avait espéré. Sans devoir vendre un de ses livres, Greendle put acheter la plume et un encrier sculpté dans du bois d’ébène qui aurait appartenu à quelqu’un dont il avait déjà oublié le nom au moment où il prit congé.

L’anglais occupa le reste de sa journée à faire ce qu’il avait prévu, à profiter du beau temps, à prendre des photos, à user du clavier, à lire… et à « faire connaissance » avec sa plume dorée.

Le soir venu, avant de se coucher, Greendle consulta ses messages. Il lut en premier la réponse de Liloo à ses conseils. Ce fut à son tour de s’inquiéter. Elle lui avait répondu en une sorte de poème dont la forme et l’envolée ne lui ressemblait guère, du peu qu’il en avait lu, mais qui le prit aux tripes.

« Quand les mots m’ont blessée,
J’ai apprivoisé le silence,
Quand le silence m’a blessée, « lésée »,
Je me suis réfugiée dans le monde de l’esprit,
Et quand mes rêves s’y sont égrenés,
Ont été entrechoqués, brûlés dans l’« immobilité »
Face à la mobilité du feu de la vie,
J’ai tardé à réagir et ai rejoint l’ombre,
La dernière parcelle avant le néant ?
Là, mon vent et mon volcan aux nues
N’ont trouvé que l’écho du sans temps…
Puis un jour, avant la grande éruption, j’ai ouvert la fenêtre
Et dans les bras de mère poésie je me se retrouvée…
La plume à la main et les cimes pour seule quête,
Ô grande littérature, jamais je ne la lâcherai !

Ton amie,
Liloo »

Greendle hésita quant à sa réponse. Se disant qu’il valait mieux qu’il évite de trop en faire, il lui décrit d’abord sa première réaction, broda ensuite autour.

« Hello,

Je viens de te lire juste avant de rejoindre la dimension où l’impalpable devient palpable et vice versa. Tes mots m’ont presque ôté les miens. Tu es la poétesse que je ne suis pas. Tu me diras, normal, je suis un homme. Mais sans moquerie, sans plaisanterie, tu as fait mouche, je ne tenterai plus de te détourner de ton chemin poétique. Ceci dit, l’invitation à écrire à deux plumes tient toujours. Ce que tu voudras !

@micalement,
Greegree »

Notre jeune lord envoya son message, consulta les autres qu’il avait reçus puis alla rêver…


« - Qu’y a-t-il dans et derrière cette brume ?

- Des réponses à éclaircir.

- Et si j’en ai pas vraiment ?! Si les questions m’ont échappées ?

- Alors tu sauras.

- Quoi ?

- Ce qui est, ce qui compte, l’essence de l’être… »

Le lendemain, les yeux ouverts, le stylo sur son calepin des rêves, il nota ce dialogue insolite qu’il avait eu avec la plume chinée. Le plus déroutant pour lui c’est qu’il ne se souvint pas d’avoir fait d’autres rêves, et encore moins qu’il y avait eu un cadre autour du dialogue. Hésitant quant à l’interprétation qu’il pouvait en faire, il lorgna du côté de son ordinateur, songeant à faire une recherche sur un site dédié aux rêves. Il n’eut cependant le temps de s’attarder sur l’étrangeté, une journée de reportage l’attendait et il fallait qu’il s’empresse de se préparer.

Fin du chapitre 1 - Greendle et la plume chinée

à suivre / to be continued - cliquez ici pour lire la suite et début du deuxième chapitre du roman Les pages déchirées

© Pascal Lamachère – novembre-décembre 2008 – Janvier 2009



lundi, septembre 8 2008

Suite 3 chapitre 1 du roman à suivre 'Les pages déchirées' (partie 4)



Greendle se laisse aller un ins­tant, der­rière-lui une autre vague déferle, devant-lui la situa­tion n’est guère plus… pai­si­ble.

A peine réa­lise-t-il la situa­tion qu’il se retrouve dans les étoi­les. Il a l’impres­sion d’être devenu une cons­tel­la­tion.

Non… Sa vue se fait plus claire. Il est sur un sol, une sur­face où une myriade de cons­tel­la­tions de plu­sieurs galaxies sont acco­lées les unes aux autres. Est-il face aux pans de l’uni­vers, sa robe ? Lorsqu’il les lève, les yeux, un ins­tant ébau­bis, se rem­plis­sent d’une légère frayeur.

Des pira­tes de l’espace sont en train de débar­quer sur sa sorte de rive… sabres lasers à la main, der­rière eux des arba­lé­triers fago­tés un peu de la même manière. Des ombres dan­sent au bout de leurs car­reaux, des éclairs fusent de leurs yeux et… leurs cha­peaux lévi­tent au-des­sus de leur tête ? Ou c’est leurs che­veux qui s’héris­sent, cha­cun de leurs sauts d’ani­mal assoiffé de sang qui fait tan­guer ?
Le scri­bouillard se sent comme para­lysé. Il don­ne­rait cher pour tro­quer la plume qu’il… Il a une plume dorée à la main main­te­nant ? Il n’avait rien avant… Greendle ferme les yeux, il ins­pire, expire.

Lorsqu’il rou­vre les yeux, notre rêveur cons­tate la situa­tion cri­ti­que dans laquelle il se trouve : il a le pied droit et la main gau­che enfon­cés dans la terre (enchaî­nés pour l’un à un piquet au niveau du cen­tre du mol­let et pour l’une au niveau du poi­gnet) et le pied gau­che et la main droite comme empê­trés dans une sorte de nuage de pous­sière qui gra­vite à 1 mètre. En face de lui, juste à l’orée du nuage, non loin de la grotte dont l’antre est devenu lumi­neuse, le dia­blo­tin du début de son rêve est entouré de toute la smala armée. Celle-ci sem­ble­rait pres­que sage comme une image à qui on n’aurait pas jeté de sort pour qu’elle vous dévore, et celui-ci sem­ble… il est inquié­tant avec sa bro­chette ten­due vers le coeur de l’anglais qui com­mence à pani­quer, sa tête levée dévoi­lant son air sar­cas­ti­que et des dents jau­nies dans les­quel­les sont venus se ficher quel­ques bouts d’os de corps étran­gers.

- No ! You can’t, i’m in a dream… if i want, i can… amorce Greendle qui secoue tous ses mem­bres.

- You can, but i will come back ! Répli­que sur un ton mena­çant le dia­blo­tin qui n’a pas changé de pos­ture.

Greendle se sent sub­mergé d’un mélange de ter­reur et de défiance. Il ouvre la bou­che comme pour faire défer­ler un flot qui englou­tira la menace, mais elle s’éva­nouit en un bat­te­ment de cils…


La res­pi­ra­tion hale­tante, un arrière goût trou­ble dans la bou­che jusqu’aux tré­fonds de l’esprit, le réveillé avant l’heure pré­vue secoua la tête pour ten­ter de chas­ser les bri­bes, les relents sen­so­riels du cau­che­mar. Il médita dans la fou­lée sur la signi­fi­ca­tion de ce qu’il venait de vivre chez Mor­phée…

A la suite de son orai­son, il se défit du mau­vais rêve jusqu’à la pointe du stylo en se sai­sis­sant de son cale­pin de che­vet et en y ancrant ce dont il se sou­ve­nait.

Le der­nier point mar­qué, le jeune anglais retrouva son flegme. Non­cha­lam­ment, il entre­prit le reste de sa rou­tine d’après réveil…

« Dans le temps,
Bal­lant,
Quand le feu prend la nuit,
La pénom­bre le jour,
Les rêves s’enfuient
Et jouent des vilains tours…
»

Paré pour enta­mer sa mati­née, sur l’écran de son umpc, assis bien au fond de son siège, la tête pen­chée légè­re­ment en avant, il fit défi­ler la liste des mes­sa­ges qui l’atten­daient. Il eut la sur­prise d’en avoir reçu un nou­veau de Liloo. Elle s’inquié­tait de ne pas avoir reçue de réponse de son ami, lui d’habi­tude si prompt à ce faire, et con­fiait son désar­roi à ne pas avoir réussi à écrire un nou­veau poème.

« Chère amie plume d’île, chère Liloo,

Je suis désolé. J’ai savouré ce que tu m’avais envoyé comme un doux nec­tar, mais mes péré­gri­na­tions sur le net avaient un ins­tant englou­tie ma bonne humeur. Ras­sure-toi, c’était une pec­ca­dille.

De même, je pense que le silence de ta muse n’est que l’oeil du cyclone. Un pas sur le côté et tu te retrou­ve­ras de nou­veau sub­mer­gée de ses envo­lées. Non que je mini­mise l’impor­tance d’une jour­née sans écrire, c’est juste que… je pense que plus tu te bra­que­ras sur ton blo­cage, plus il sera impor­tant.

Quoi­que je dois avouer que j’écris ça alors que je ne sais pas trop com­ment te ras­su­rer, que j’ai beau pou­voir théo­ri­ser des solu­tions, il n’en reste pas moins qu’au final c’est un che­mi­ne­ment per­son­nel que tu dois sui­vre. Et de ce côté, je ne sais si j’ai bien fait, le fait est que je n’ai pas réussi à gar­der la verve poé­ti­que qui ani­mait ma plume il y a quel­ques années.

Enfin, si j’avais un vrai con­seil à te don­ner, c’est que si la flamme qui fait ta plume s’envo­ler pour des poè­mes devait s’éva­po­rer, s’assou­pir plu­sieurs jour­nées, tu devrais peut-être voir si avec des his­toi­res ton encre ne coule pas plus faci­le­ment. Bon, j’ima­gine que tu y as déjà pensé, alors euh… En tout cas je suis prêt à t’aider d’une manière ou d’une autre.

Ah, en par­lant de ça, tant que j’y pense, si tu veux on pourra essayer d’écrire en duo ? Par­fois on se trans­cende, on écrit plus faci­le­ment lors­que des plu­mes peu­vent jouer le rôle de gui­bre l’une pour l’autre.

J’espère que tu pour­ras pas­ser une bonne jour­née, que le souf­fle des muses Érato et Cal­liope soit avec toi !

@mi­ca­le­ment,
Gree­gree »

Après un pre­mier cla­viar­dage, Greendle se relut et étoffa plu­sieurs pas­sa­ges. Lors­que assez satis­fait, il envoya son mes­sage, puis s’atta­qua à des cor­res­pon­dan­ces plus solen­nel­les dans le cadre de son tra­vail, écri­vit un bout d’his­toire et con­sulta son compte en ban­que.

Assuré de ce qu’il pou­vait dépen­ser, ou plu­tôt ne pas dépen­ser pour chi­ner la plume vue la veille sur le mar­ché aux puces, notre ama­teur de bro­cante fit le tri dans sa biblio­thè­que en bois d’ébène. Celle-ci s’allon­geait sur tout le mur en face de la fenê­tre de la pièce prin­ci­pale de son appar­te­ment et débor­dait sur celui de gau­che, à côté de son petit bureau. Notre livri­vore en sor­tit les livres de valeur qu’il avait déjà lus, en vue de les ven­dre ou tro­quer. Une fois le pour et le con­tre pesé sur le pin­ce­ment de coeur à l’idée de s’en sépa­rer, il n’y avait plus que trois livres qui avaient quitté le bois pour se retrou­ver dans sa besace.

Greendle eut un sou­rire amusé en ima­gi­nant la pro­ba­ble négo­cia­tion qu’il devrait mener avec Sha­kire Jack­son. Il regarda l’heure affi­chée sur son poi­gnet. Il était 10 h bien enta­mées, il ne fal­lait pas qu’il traîne plus…

« Si, en s’effor­çant de sui­vre le cou­rant, la plume
devient le pro­lon­ge­ment de la lumière d’âme,
Alors le passé et l’ave­nir se com­pri­ment et s’enflam­ment
dans une goutte d’encre qui ancre tout depuis le pos­thume…
»

à sui­vre / to be con­ti­nued - cli­quez ici pour lire la suite et fin du pre­mier cha­pi­tre du roman les pages déchi­rées

© Pas­cal Lama­chère - août-sep­tem­bre 2008

dimanche, juin 29 2008

Suite 2 chapitre 1 du roman à suivre 'Les pages déchirées'



A même le sol, au milieu de bric et de broc, au milieu de ce qui était, pour lui, des babio­les, trô­nait une plume dorée. Elle sem­bla l’appe­ler comme la mer attire le regard du marin, comme le rêveur se tourne vers la lune au sein du dôme étoilé. Il ne put résis­ter et s’appro­cha.

- Beau jour mon­sieur ! N’est-il pas ?! Je m’appelle Sha­kire Jack­son, dit le décou­vreur de mer­veilles ! J’vous fais une ris­tourne si vous m’pre­nez cet’amante de la page avec cette sculp­ture du 19ème qu’mon arrière grand-père mater­nel a obtenu en tra­vaillant auprès du grand Rodin en per­sonne ! pro­posa d’emblée le drôle d’anti­quaire qui avait remar­qué la direc­tion du regard de Greendle.

Ses paro­les expri­mées d’une traite, son débit rapide, son accent d’ailleurs, sa tenue digne d’un fakir et la peau ridée au teint rosi de ses mains et de ses avants bras déno­tant avec la peau halée de son visage, du fait des années pas­sées sous le ciel fran­çais, enle­vaient un peu de cré­di­bi­lité au sens des mots du ven­deur dont l’âge avoi­si­nait les qua­rante ans. Greendle esquissa néan­moins un sou­rire amusé tout en res­tant bou­che bée sur l’ins­tant.

- Oh, je sais, je fais un peu bou­ti­quier des mil­les et une nuit ! répli­qua le ven­deur à l’air lourd de sens de l’homme devant lui. Mais j’vous garan­tis la pro­ve­nance de ce qu’j’vends ! Ajouta-t-il sans se dépa­reiller de son sou­rire.

Son aplomb ne con­vain­quit pas l’anglais, il se hasarda cepen­dant à ren­trer dans l’échange vocal… Il fit un signe de tête entendu, reporta son regard inté­ressé sur la plume tout en for­mu­lant quel­ques sons.

- J’aurais pré­féré ache­ter uni­que­ment cette plume. Com­bien…

- Oh, maille lord ! coupa le ven­deur. Uni­que­ment cette plume ? J’ai bien vu qu’elle vous inté­res­sait mais… si j’vous ai fait cette pro­po­si­tion c’est qu’elle a une grande valeur et accom­pa­gnée d’un tré­sor de plus grande valeur ça vous aurait fait un prix d’ami !

L’anglais lui lança un regard légè­re­ment exas­péré à la men­tion du lord, exas­pé­ra­tion qui s’inten­si­fia devant la volonté mani­feste de lui sou­ti­rer beau­coup de ses euros.

- Pour tout vous dire, la plume a appar­tenu à un alchi­miste du moyen-âge, enfin deux. Elle aurait été faite par Saint Tho­mas d’Aquin puis se serait retrou­vée, deux siè­cles plus tard, aux mains de Para­celse. Si vous…

- Je suis désolé, je crains de ne pas avoir la bourse et je n’ai plus le temps de… bavas­ser. Je dois y aller. Serez-vous là demain ? coupa Greendle.

- Une bourse ? Vous n’en avez pas deux, comme tout le monde ? Et oui, je serre bien la main ! taquina Sha­kire qui ten­dit la main.

Greendle fit de gros yeux éber­lués. Inter­lo­qué le temps de deux bat­te­ments de coeur, il finit par ten­dre la main à son tour pour une poi­gnée vigou­reuse.

- On se voit donc demain ?! ‘fait, moi c’est Greendle ! lâcha-t-il avant de tour­ner les talons et de pren­dre ainsi congé.

- Enchanté Greendle ! Que les por­tes du jour qui s’ouvrent à vous le soient sous une prai­rie clair­se­mée de fleurs enivran­tes ! lui sou­haita l’anti­quaire sur un ton ami­cal.

Notre jeune pho­to­gra­phe-repor­ter com­mença à tra­cer sa route avec une démar­che altière, qu’il chan­gea en pas sim­ple­ment pres­sés lorsqu’il mit les pieds sur le trot­toir du bou­le­vard de Stras­bourg. Sa jour­née de tra­vail avait vir­tuel­le­ment com­mencé et il lui aurait fallu pou­voir pagayer plus vite sur le cours du temps pour en rat­tra­per. Il faut dire que le menu était bien chargé (séan­ces pho­to­gra­phies, scri­bouillage d’arti­cles, cor­rec­tions, réu­nions avec les col­lè­gues, échan­ges de mails avec le res­pon­sa­ble édi­to­rial du jour­nal anglais…) mais la seule con­sé­quence de son retard fut qu’il ne put se faire la séance de cinéma qu’il espé­rait et il ren­tra plus tôt que prévu dans son appar­te­ment pour se faire à man­ger, si éplu­cher des légu­mes, effeuiller une salade et réchauf­fer le con­tenu d’une con­serve peut-être con­si­déré comme tel.

Après avoir ras­sa­sié l’appé­tit de son ven­tre, il mit la vais­selle dans l’évier et alla con­sul­ter sa boîte à mail. Un mes­sage de son amie Liloo l’y atten­dait. Elle lui con­fiait son humeur du moment et un nou­veau poème sur l’éclo­sion des étoi­les dans l’uni­vers et leur des­ti­née, une allé­go­rie avec les fleurs d’un jar­din sau­vage. Il appré­cia la lec­ture mais ne se sen­tit pas de lui répon­dre dans la fou­lée, d’autant plus que la lec­ture d’un troll sur un blog de poé­sie dédié à Lord Byron le fit sor­tir de ses gonds et acca­para toute son atten­tion. Peu habi­tué à ren­trer dans la polé­mi­que, la con­si­dé­rant futile, « pha­go­cy­teuse » de temps et d’éner­gie, il se sen­tit obligé de réa­gir pour défen­dre ceux qu’il aimait lire, et sur­tout en pen­sant à son amie-du-net japo­naise qu’il con­si­dé­rait comme une digne poè­tesse con­tem­po­raine…

Le tru­blion, le pro­vo­ca­teur avait traité les poè­tes de para­si­tes, uti­li­sant, détour­nant, pour sa géné­ra­lité, la bio­gra­phie du poète à l’hon­neur. Par la rai­son, Greendle vou­lut s’effor­cer de ne pas être trop cin­glant, de ne pas être trop sub­ver­sif dans sa réponse, mais il eut du mal à réfré­ner son envie de piquer au vif l’auteur du mes­sage.

« Il faut avoir la cons­cience moyen-âgeuse pour se per­met­tre de trai­ter les poè­tes de para­si­tes. Un poète donne de lui sur le papier, il met de son regard, de ses tri­pes, de son âme, du monde. Il vous retourne, il vous trans­porte si ses tex­tes vous par­lent, trou­vent écho dans vos grot­tes, vos pro­fon­deurs. C’est un tra­vailleur de l’essence de vie. On ne peut pas en dire autant de cer­tains tra­vailleurs et encore moins de cer­tai­nes entre­pri­ses qui font leur beurre de manière dis­cu­ta­ble, d’un point de vue phi­lo­so­phi­que ou non. Mais même pour eux, taxer de para­si­tisme ce serait igno­rer le sens du mot et se pren­dre pour dieu le père.

Green, l’anglais scri­bouillard expa­trié en France »

Il se relut et cli­qua sur « Send / Pos­ter »…

Un peu sou­lagé d’avoir pu expri­mer son point de vue, mais tou­jours un peu échaudé, il étei­gnit son net­book, son ordi­na­teur por­ta­ble, son umpc et prit l’air en com­pa­gnie du livre qu’il avait acheté au bou­qui­niste en début de mati­née…
Il élut tem­po­rai­re­ment domi­cile non loin du jar­din du grand rond qui venait de fer­mer ses grilles, sur un banc de pierre où il com­mença à feuille­ter le livre de Vic­tor Hugo. Bien vite, les yeux ne pou­vant plus faire leur office comme il faut sous la lumière éva­nes­cente, peu aidée par les lam­pa­dai­res pour luter con­tre le voile de la nuit, Greendle se choi­sit un bar où il y dévora une tren­taine de pages avant qu’il y ait trop d’affluen­ces. Il ter­mina dans son lit sa tran­che de lec­ture, le cha­pi­tre qu’il avait entamé, et rejoi­gnit la rive de l’impal­pa­ble en se lais­sant ber­cer par les vagues d’une mélo­die lan­ci­nante…

La brume se lève sur une île, au point d’enve­lop­per les étoi­les dans le ciel. Seule la vue d’une grotte per­siste. Elle sem­ble loin et pro­che à la fois. Greendle avance vers elle. Étrange. Il a l’impres­sion de ne plus sen­tir le sol, ce n’est même pas comme s’il s’était dérobé. Vole-t-il ? A peine s’est-il posé la ques­tion qu’il se retrouve nez à nez avec un dia­blo­tin qui allume un feu au des­sus d’une bro­chette de coeurs. Le dia­blo­tin, au nez gros comme un pif, aux noi­set­tes glo­bu­leu­ses et aux oreilles poin­tues, lui est étran­ge­ment fami­lier. Et mal­gré son rituel maca­bre, il ne le sent pas mena­çant, du moins ne lui prête-t-il pas atten­tion. L’anglais pour­suit sa route vers l’antre de la grotte lors­que, sou­dain, une vague le sub­merge…

à sui­vre / to be con­ti­nued - cli­quez ici pour lire la suite

© Pas­cal Lama­chère - Juin 2008

mardi, juin 3 2008

Suite 1 chapitre 1 du roman à suivre 'Les pages déchirées'


Sur le che­min de la Place Saint-Ser­nin, dans une petite place verte der­rière la place du Capi­tole, alors que les rues com­men­çaient à grouiller de voi­tu­res et de jam­bes aler­tes, que les ombres de la nuit lais­saient défi­ni­ti­ve­ment place au voile d’or du jour, il s’arrêta devant une « scène de vie » : un vieux mon­sieur, assis sur un banc, en train de don­ner du pain aux pigeons, et non loin, près d’un trio de ronds-troncs (un rouge, un bleu et un jaune, plus petit), un jeune cou­ple se cha­maillant. Greendle se posa dis­crè­te­ment dans un point de vue qui lui per­met­trait de cap­tu­rer l’orage fugace au sein de ce qu’il appel­lait le « kit­sch tou­lou­sain » puis, après avoir appuyé sur le déclen­cheur, s’appro­cha du mon­sieur comme si de rien n’était, ou pres­que. D’un regard en coin, il vit un der­nier éclair bri­ser les cieux du cou­ple. Ils devin­rent deux per­son­nes s’en allant dans une direc­tion dif­fé­rente, du moins sur l’ins­tant. Un peu hon­teux de son délit d’image, il adressa un sou­rire pincé à Gus­tave sur qui il reporta toute son atten­tion. Il se pré­senta à son tour et lui demanda per­mis­sion de pren­dre quel­ques pho­to­gra­phies de son « occu­pa­tion nour­ri­cière ». Après expli­ca­tion de la des­ti­na­tion des cli­chés, du fait qu’il les pren­drait de manière à ce qu’on ne le recon­naisse pas, il se mit à l’oeu­vre, se foca­lisa sur le geste, les pigeons, les miet­tes. Une fois assez satis­fait, il remer­cia son man­ne­quin d’une poi­gnée de mains et remit un pied devant l’autre.

Le long de la rue du Taur, il repensa à la dis­pute. Il se fit un ins­tant la réflexion qu’à trop recher­cher la per­fec­tion, on s’éloi­gne de soi et des autres, il en débat­tit ensuite en son for. Qui sait ? Pas lui.

Il quitta ses pen­sées pour humer l’atmo­sphère. Bien vite, les pre­miers étals se pro­fi­lè­rent parmi les four­mis mati­na­les, au croi­se­ment des pavés de la rue à moi­tié pié­tonne et de l’asphalte qui en tapis­sait une autre. Le jeune anglais se mêla aux tou­lou­sains, aux badauds, aux tra­vailleurs en mar­che vers leur ter­rier, aux étu­diants à laboure sor­tant du Crous et cou­rant vers leur bus, aux gens venus sim­ple­ment flâ­ner de bonne heure. Il regarda sa mon­tre. A l’ins­tar des pres­sés, il n’avait plus trop le temps de pren­dre son temps.

Arrivé sur la place, Greendle oublia pres­que aus­si­tôt le monde qui l’entou­rait. L’espace réservé au mar­ché aux puces qui fleu­rait les alen­tours de la basi­li­que, débor­dant à peine sur les ruel­les, la place qui était meu­blée d’étals à auvents déco­rés de diver­ses mar­chan­di­ses, de camion­net­tes, de « tablées » en hau­teur et à même le sol s’effa­cè­rent dans ses noi­set­tes ver­dâ­tres. Elles s’étoi­lè­rent, se tapis­sè­rent de vieux par­che­mins, de livres déca­tis et de livres quasi neufs, de livres famé­li­ques et d’ouvra­ges volu­mi­neux, de cou­ver­tu­res gla­cées et de recou­ver­tes de cuir écor­nées à dif­fé­rents degrés. L’ama­teur de lit­té­ra­ture en tout genre en oublia même les mar­chands à la sau­vette en train d’alpa­guer le pre­mier badaud, le pre­mier pas­sant venu. Plus dis­crets, des librai­res assis au fond de leur siège atten­daient patiem­ment que l’on vienne à eux en lisant un bou­quin. Cer­tains - les plus tar­difs ? - s’occu­paient à arran­ger la dis­po­si­tion de leurs « tré­sors ».

Tout en effleu­rant des yeux les pay­sa­ges let­trés qui offraient leur sur­face, notre anglais com­mença à déam­bu­ler d’un pas non­cha­lant. Il savou­rait cet ins­tant qu’il ne tarda cepen­dant pas à échan­ger con­tre un autre. Une pan­carte de for­tune « Les plus grands auteurs du 19ème » sem­blait lui faire de l’oeil. Il s’arrêta devant une pile dédiée aux poè­tes.

- Bon­jour mon­sieur ! salua le bou­qui­niste. Il pour­sui­vit sans atten­dre qu’un mot ne sorte de la bou­che de son client poten­tiel. Vous avez l’embar­ras du choix, que des chefs d’oeu­vres !

- Bojour ! Est-ce que vos aïvez un Vic­tor Hugo à me con­seiller ? demanda Greendle avec son accent anglais tout en tour­nant la tête vers son inter­lo­cu­teur à qui il adressa un léger sou­rire. On me l’a sou­vent con­seillé pour par­faire maille cul­ture sur votre lit­té­ra­ture.

- Oh, un lord ! dit le ven­deur avec une pointe d’humour. Oui ! J’ai, et on vous a bien con­seillé. Enfin, vous vou­lez de la poé­sie ? ou des his­toi­res épi­ques ? ques­tionna-t-il en com­men­çant à mani­pu­ler les livres. Quoi­que je demande, mais de lui j’ai sur­tout des romans à ven­dre…

- Hmm… Je… Des his­toi­res alors ?

- Si vous vou­lez, la semaine pro­chaine je pour­rai vous dégo­ter un recueil de poè­mes et un de ses plus grands clas­si­ques que j’ai vendu il y a peu. Mais si vous avez les moyens, j’ai cette superbe édi­tion de L’Homme qui rit. Sur la cou­ver­ture il y a une magni­fi­que hélio­gra­vure. C’est ins­piré d’un pan de l’his­toire anglaise. Et ça tombe bien, vous êtes anglais, si je ne m’abuse ?!

Le bou­qui­niste lui ten­dit un volu­mi­neux livre tout de cuir noir vêtu, il sen­tait bon le par­che­min. Greendle hocha posi­ti­ve­ment la tête, ses lèvres se fen­di­rent en un fugace large sou­rire et il appré­cia le con­tact avant de pren­dre un air inter­ro­ga­teur.

- Vous m’avez dit si j’ai les moyens ? s’inquiéta Greendle.

Une brève négo­cia­tion s’ensui­vit puis, les deux par­ties satis­fai­tes des ter­mes de la tran­sac­tion qui tenaient en deux beaux billets de vingt euros, il mit la main dans sa besace, paya, ran­gea, salua et reprit sa déam­bu­la­tion. Il n’avait plus vrai­ment le temps, ni l’argent, il con­ti­nua néan­moins à chi­ner. D’autres mer­veilles lui ten­daient les pages et il ne vou­lait pas lou­per celle qui le ravi­rait. Il enchaîna ainsi les étals des bou­qui­nis­tes.

Dif­fé­ren­tes trou­vailles, un livre sur les globe-trot­teurs d’une plume vaga­bonde, un d’un autre roman­cier célè­bre, un sur une pièce de théâ­tre d’un auteur-comé­dien tout aussi réputé, atti­rè­rent son atten­tion… sans qu’il n’en fasse l’achat.

Dans un virage, alors qu’il avait pres­que fait le tour du mar­ché aux puces, de l’offre de ces ven­deurs de vagues d’hier, de voya­ges intem­po­rels en péri­phé­rie, en long en large et au tra­vers l’âme humaine, et alors qu’il s’apprê­tait à sor­tir son appa­reil photo pour gra­ver la place dans les octets, gar­der une trace des autres chi­neurs qui bras­saient les livres, les mar­chan­di­ses avec une con­vic­tion pro­por­tion­nelle à leur prix, c’est parmi un des rares ven­deurs de bro­cante non lit­té­raire et non ves­ti­men­taire (le samedi étant plus ou moins con­sa­cré aux livres et aux ajouts de « peaux » ), que Greendle posa ins­tinc­ti­ve­ment ses yeux sur ce qui aurait pu être sa plus belle acqui­si­tion du jour.

à sui­vre / to be con­ti­nued - cli­quez ici pour lire la suite

© Pas­cal Lama­chère - mai 2008

p.s : cli­quez ici pour mirer quel­ques pho­to­gra­phies de lieux où s’ancre une par­tie de l’his­toire.

dimanche, mai 4 2008

Les pages déchirées - roman à suivre


Cha­pi­tre 1 – Greendle et la plume chi­née


« Un crin de lumière trans­perce
Dans sa course,
Une ombre se déchire,
Un trou dans le mur
Et l’impres­sion d’infini au-delà…
 »

Tel est le che­min à venir d’un type, un homme bap­tisé Greendle. Il se con­si­dé­rait, s’était con­si­déré ordi­naire jusqu’à ce que…

« Le prin­temps danse
avec les nua­ges et le soleil,
dans les rues les fleurs s’ouvrent,
les étoi­les s’y épar­pillent… »

Un beau jour de mai, ces quel­ques mots chan­tés, accom­pa­gnés d’une musi­que clas­si­que dif­fu­sée par son radio­ré­veil, le firent s’écu­mer vers le monde des yeux ouverts. Bran­ché sur sa radio favo­rite, il enleva sa couette, s’étira, puis resta quel­ques ins­tants allongé, repen­sant aux son­ge­ries de la nuit qui ne se s’étaient pas encore éva­po­rées vers la dimen­sion hors de por­tée des éveillés. Une fois fait, il se tourna vers le cal­le­pin posé sur la table de che­vet, légè­re­ment à che­val sur sa paire de lunette, non loin de l’appa­reil son­nore. Après un ins­tant d’hési­ta­tion, il se leva, sai­sit le cale­pin de for­tune (dans lequel était glissé en mar­que page un stylo) et se mit à scri­bouiller tout ce qu’il venait de pas­ser en revu.

« la sai­son dérai­sonne,
l’homme rai­sonne,
des bouts de terre gro­gnent… »

Greendle appuya sur le bou­ton off, fit trô­ner sur son nez légè­re­ment aqui­lin la mon­ture cui­vrée de ses lunet­tes ron­des, se diriga vers la petite salle de bain de son 23 mètres carré. Devant le miroir au des­sus de l’évier, il plissa ses petits yeux, « con­tem­pla » son reflet de jeune homme de 28 ans. Ses che­veux bruns, bien qu’assez courts, avaient trouvé le moyen de se met­tre en vrac. Il les ébou­riffa, passa ensuite ses mains sur sa fine mous­ta­che, sa barbe nais­sante et en fin ses pom­met­tes saillan­tes, avant de traî­ner son corps d’allure com­mune sous la dou­che.

« I hoope a day
loove will knock in my hearth
and the suun shine
and the suun… »

Ce jeune pho­to­gra­phe-repor­ter se prit à chan­ton­ner, avec sa voix anglaise chaude et mélo­dieuse, de la soupe d’un boys band bien de chez lui. Bien qu’il avait eu le cou­rage de s’expa­trier en France, à Tou­louse, Greendle se défi­nis­sait lui-même comme un barou­deur pan­tou­flard et aimait bien avoir ses repè­res lui rap­pe­lant sa terre d’ori­gine, aussi peu à son goût soient-ils. Ceci dit, cette chan­son tra­dui­sait plus un man­que. Céli­ba­taire pres­que endurci, il avait gâché tou­tes ses poten­tiel­les rela­tions depuis sept bon­nes années, fait fuir tou­tes les fem­mes qui s’inté­res­saient à lui. Il en regret­tait un cer­tain nom­bre, par­fois une plus que les autres, mais au fil du temps les regrets chan­geaient de tête, ce qui en soit, se rai­son­nait-il, était la preuve qu’il n’y avait para­doxa­le­ment rien à regret­ter. Tou­jours est-il qu’il avait l’élan pour com­pen­ser, en appa­rence, ce vide : il menait de front deux jobs, enfin, plu­tôt deux pos­tes, l’un de cor­res­pon­dant pho­to­gra­phe-repor­ter pour un jour­nal anglais, l’autre de pho­to­gra­phe repor­ter pour un local. Son temps libre en était devenu peau de cha­grin. Tou­te­fois, il se débrouillait pour grap­piller, lier les acti­vi­tés, et ne se plai­gnait pas de son sort. Ainsi, aujourd’hui, samedi, il avait décidé de faire son « shop­ping » en se ren­dant sur son lieu de repor­tage…

Dou­ché, coiffé, « déo­do­risé », habillé, le sac - pré­paré la veille - en ban­dou­lière sur l’épaule gau­che, Greendle était paré. Plus par habi­tude, par acquis de cons­cience quasi obses­sion­nelle que par néces­sité, il véri­fia sur son agenda vir­tuel le pro­gramme de la jour­née. Il n’y avait rien de bien dif­fé­rent des autres jours, il savait déjà où il devait aller, ce qu’il vou­lait faire avant. Il ran­gea son agenda, étei­gnit la lumière et sor­tit…

« L’ombre dia­phane
des pro­mes­ses de la nuit
s’éva­nouit
au creux de la volonté
trop acé­rée…
 »

Dans la fraî­cheur mati­nale de la ville, non loin du Grand Rond, il regarda sa mon­tre à aiguilles qui indi­quait 6 h 45. Il avait le temps de pren­dre son break­fast dans un bar et de flâ­ner sur le mar­ché aux puces et à la bro­cante de la Place Saint Ser­nin. Sur le che­min, il se choi­sit donc une petite table, près d’un coin de ver­dure, en plein un hot-spot wifi gra­tuit. Il passa com­mande et posa devant lui son petit ordi­na­teur por­ta­ble pour che­cker ses mes­sa­ges.
Celui d’une amie-du-net japo­naise fit à ses lèvres for­mer un large sou­rire. Expa­triée sur une île, qu’elle lui avait dit, ne pré­ci­sant ni le nom ni « l’empla­ce­ment géo­gra­phi­que approxi­ma­tif », ses envo­lées fleu­raient bon la lumière et la cha­leur équa­to­ria­les. Il avait entamé des échan­ges épis­to­lai­res avec elle par l’entre­mise d’un site de poé­sie sha­kes­pea­rienne. Après que le ser­veur a déposé son thé, son jus de pam­ple­mousse, son crois­sant et son oeuf au plat, après un « mirci » et l’entame des mets, il rédi­gea sa réponse :

« Cher Liloo,

J’ai lu avec grand plai­sir ce que tu m’as envoyé, voici un petit écho pseudo poé­ti­que en guise de cla­viar­dage impres­sion­na­tif :

Le pay­sage de tes mots m’émeu­vent,
je les ima­gine mur­mu­rer aux vagues
la beauté de la terre qu’elles ne peu­vent tou­cher,
qu’elles admi­rent au tra­vers de leur écume,
je les ima­gine por­ter par elles et venir tou­cher d’autres rives
comme une bou­teille à la mer tra­ver­sant l’océan
et échouée avec amour,
trans­for­mant le rocailleux
en une myriade de sable fin…

@mi­ca­le­ment,
Gree­gree »

Greendle cli­qua sur « envoyer » puis englou­tit ce qui res­tait, ran­gea son petit ordi­na­teur et prit congé…