Greendle se laisse aller un ins­tant, der­rière-lui une autre vague déferle, devant-lui la situa­tion n’est guère plus… pai­si­ble.

A peine réa­lise-t-il la situa­tion qu’il se retrouve dans les étoi­les. Il a l’impres­sion d’être devenu une cons­tel­la­tion.

Non… Sa vue se fait plus claire. Il est sur un sol, une sur­face où une myriade de cons­tel­la­tions de plu­sieurs galaxies sont acco­lées les unes aux autres. Est-il face aux pans de l’uni­vers, sa robe ? Lorsqu’il les lève, les yeux, un ins­tant ébau­bis, se rem­plis­sent d’une légère frayeur.

Des pira­tes de l’espace sont en train de débar­quer sur sa sorte de rive… sabres lasers à la main, der­rière eux des arba­lé­triers fago­tés un peu de la même manière. Des ombres dan­sent au bout de leurs car­reaux, des éclairs fusent de leurs yeux et… leurs cha­peaux lévi­tent au-des­sus de leur tête ? Ou c’est leurs che­veux qui s’héris­sent, cha­cun de leurs sauts d’ani­mal assoiffé de sang qui fait tan­guer ?
Le scri­bouillard se sent comme para­lysé. Il don­ne­rait cher pour tro­quer la plume qu’il… Il a une plume dorée à la main main­te­nant ? Il n’avait rien avant… Greendle ferme les yeux, il ins­pire, expire.

Lorsqu’il rou­vre les yeux, notre rêveur cons­tate la situa­tion cri­ti­que dans laquelle il se trouve : il a le pied droit et la main gau­che enfon­cés dans la terre (enchaî­nés pour l’un à un piquet au niveau du cen­tre du mol­let et pour l’une au niveau du poi­gnet) et le pied gau­che et la main droite comme empê­trés dans une sorte de nuage de pous­sière qui gra­vite à 1 mètre. En face de lui, juste à l’orée du nuage, non loin de la grotte dont l’antre est devenu lumi­neuse, le dia­blo­tin du début de son rêve est entouré de toute la smala armée. Celle-ci sem­ble­rait pres­que sage comme une image à qui on n’aurait pas jeté de sort pour qu’elle vous dévore, et celui-ci sem­ble… il est inquié­tant avec sa bro­chette ten­due vers le coeur de l’anglais qui com­mence à pani­quer, sa tête levée dévoi­lant son air sar­cas­ti­que et des dents jau­nies dans les­quel­les sont venus se ficher quel­ques bouts d’os de corps étran­gers.

- No ! You can’t, i’m in a dream… if i want, i can… amorce Greendle qui secoue tous ses mem­bres.

- You can, but i will come back ! Répli­que sur un ton mena­çant le dia­blo­tin qui n’a pas changé de pos­ture.

Greendle se sent sub­mergé d’un mélange de ter­reur et de défiance. Il ouvre la bou­che comme pour faire défer­ler un flot qui englou­tira la menace, mais elle s’éva­nouit en un bat­te­ment de cils…


La res­pi­ra­tion hale­tante, un arrière goût trou­ble dans la bou­che jusqu’aux tré­fonds de l’esprit, le réveillé avant l’heure pré­vue secoua la tête pour ten­ter de chas­ser les bri­bes, les relents sen­so­riels du cau­che­mar. Il médita dans la fou­lée sur la signi­fi­ca­tion de ce qu’il venait de vivre chez Mor­phée…

A la suite de son orai­son, il se défit du mau­vais rêve jusqu’à la pointe du stylo en se sai­sis­sant de son cale­pin de che­vet et en y ancrant ce dont il se sou­ve­nait.

Le der­nier point mar­qué, le jeune anglais retrouva son flegme. Non­cha­lam­ment, il entre­prit le reste de sa rou­tine d’après réveil…

« Dans le temps,
Bal­lant,
Quand le feu prend la nuit,
La pénom­bre le jour,
Les rêves s’enfuient
Et jouent des vilains tours…
»

Paré pour enta­mer sa mati­née, sur l’écran de son umpc, assis bien au fond de son siège, la tête pen­chée légè­re­ment en avant, il fit défi­ler la liste des mes­sa­ges qui l’atten­daient. Il eut la sur­prise d’en avoir reçu un nou­veau de Liloo. Elle s’inquié­tait de ne pas avoir reçue de réponse de son ami, lui d’habi­tude si prompt à ce faire, et con­fiait son désar­roi à ne pas avoir réussi à écrire un nou­veau poème.

« Chère amie plume d’île, chère Liloo,

Je suis désolé. J’ai savouré ce que tu m’avais envoyé comme un doux nec­tar, mais mes péré­gri­na­tions sur le net avaient un ins­tant englou­tie ma bonne humeur. Ras­sure-toi, c’était une pec­ca­dille.

De même, je pense que le silence de ta muse n’est que l’oeil du cyclone. Un pas sur le côté et tu te retrou­ve­ras de nou­veau sub­mer­gée de ses envo­lées. Non que je mini­mise l’impor­tance d’une jour­née sans écrire, c’est juste que… je pense que plus tu te bra­que­ras sur ton blo­cage, plus il sera impor­tant.

Quoi­que je dois avouer que j’écris ça alors que je ne sais pas trop com­ment te ras­su­rer, que j’ai beau pou­voir théo­ri­ser des solu­tions, il n’en reste pas moins qu’au final c’est un che­mi­ne­ment per­son­nel que tu dois sui­vre. Et de ce côté, je ne sais si j’ai bien fait, le fait est que je n’ai pas réussi à gar­der la verve poé­ti­que qui ani­mait ma plume il y a quel­ques années.

Enfin, si j’avais un vrai con­seil à te don­ner, c’est que si la flamme qui fait ta plume s’envo­ler pour des poè­mes devait s’éva­po­rer, s’assou­pir plu­sieurs jour­nées, tu devrais peut-être voir si avec des his­toi­res ton encre ne coule pas plus faci­le­ment. Bon, j’ima­gine que tu y as déjà pensé, alors euh… En tout cas je suis prêt à t’aider d’une manière ou d’une autre.

Ah, en par­lant de ça, tant que j’y pense, si tu veux on pourra essayer d’écrire en duo ? Par­fois on se trans­cende, on écrit plus faci­le­ment lors­que des plu­mes peu­vent jouer le rôle de gui­bre l’une pour l’autre.

J’espère que tu pour­ras pas­ser une bonne jour­née, que le souf­fle des muses Érato et Cal­liope soit avec toi !

@mi­ca­le­ment,
Gree­gree »

Après un pre­mier cla­viar­dage, Greendle se relut et étoffa plu­sieurs pas­sa­ges. Lors­que assez satis­fait, il envoya son mes­sage, puis s’atta­qua à des cor­res­pon­dan­ces plus solen­nel­les dans le cadre de son tra­vail, écri­vit un bout d’his­toire et con­sulta son compte en ban­que.

Assuré de ce qu’il pou­vait dépen­ser, ou plu­tôt ne pas dépen­ser pour chi­ner la plume vue la veille sur le mar­ché aux puces, notre ama­teur de bro­cante fit le tri dans sa biblio­thè­que en bois d’ébène. Celle-ci s’allon­geait sur tout le mur en face de la fenê­tre de la pièce prin­ci­pale de son appar­te­ment et débor­dait sur celui de gau­che, à côté de son petit bureau. Notre livri­vore en sor­tit les livres de valeur qu’il avait déjà lus, en vue de les ven­dre ou tro­quer. Une fois le pour et le con­tre pesé sur le pin­ce­ment de coeur à l’idée de s’en sépa­rer, il n’y avait plus que trois livres qui avaient quitté le bois pour se retrou­ver dans sa besace.

Greendle eut un sou­rire amusé en ima­gi­nant la pro­ba­ble négo­cia­tion qu’il devrait mener avec Sha­kire Jack­son. Il regarda l’heure affi­chée sur son poi­gnet. Il était 10 h bien enta­mées, il ne fal­lait pas qu’il traîne plus…

« Si, en s’effor­çant de sui­vre le cou­rant, la plume
devient le pro­lon­ge­ment de la lumière d’âme,
Alors le passé et l’ave­nir se com­pri­ment et s’enflam­ment
dans une goutte d’encre qui ancre tout depuis le pos­thume…
»

à sui­vre / to be con­ti­nued - cli­quez ici pour lire la suite et fin du pre­mier cha­pi­tre du roman les pages déchi­rées

© Pas­cal Lama­chère - août-sep­tem­bre 2008