Blog littéraire, artistique de Pascal Lamachère

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Balise - correspondance

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mardi, juin 3 2008

Suite 1 chapitre 1 du roman à suivre 'Les pages déchirées'


Sur le che­min de la Place Saint-Ser­nin, dans une petite place verte der­rière la place du Capi­tole, alors que les rues com­men­çaient à grouiller de voi­tu­res et de jam­bes aler­tes, que les ombres de la nuit lais­saient défi­ni­ti­ve­ment place au voile d’or du jour, il s’arrêta devant une « scène de vie » : un vieux mon­sieur, assis sur un banc, en train de don­ner du pain aux pigeons, et non loin, près d’un trio de ronds-troncs (un rouge, un bleu et un jaune, plus petit), un jeune cou­ple se cha­maillant. Greendle se posa dis­crè­te­ment dans un point de vue qui lui per­met­trait de cap­tu­rer l’orage fugace au sein de ce qu’il appel­lait le « kit­sch tou­lou­sain » puis, après avoir appuyé sur le déclen­cheur, s’appro­cha du mon­sieur comme si de rien n’était, ou pres­que. D’un regard en coin, il vit un der­nier éclair bri­ser les cieux du cou­ple. Ils devin­rent deux per­son­nes s’en allant dans une direc­tion dif­fé­rente, du moins sur l’ins­tant. Un peu hon­teux de son délit d’image, il adressa un sou­rire pincé à Gus­tave sur qui il reporta toute son atten­tion. Il se pré­senta à son tour et lui demanda per­mis­sion de pren­dre quel­ques pho­to­gra­phies de son « occu­pa­tion nour­ri­cière ». Après expli­ca­tion de la des­ti­na­tion des cli­chés, du fait qu’il les pren­drait de manière à ce qu’on ne le recon­naisse pas, il se mit à l’oeu­vre, se foca­lisa sur le geste, les pigeons, les miet­tes. Une fois assez satis­fait, il remer­cia son man­ne­quin d’une poi­gnée de mains et remit un pied devant l’autre.

Le long de la rue du Taur, il repensa à la dis­pute. Il se fit un ins­tant la réflexion qu’à trop recher­cher la per­fec­tion, on s’éloi­gne de soi et des autres, il en débat­tit ensuite en son for. Qui sait ? Pas lui.

Il quitta ses pen­sées pour humer l’atmo­sphère. Bien vite, les pre­miers étals se pro­fi­lè­rent parmi les four­mis mati­na­les, au croi­se­ment des pavés de la rue à moi­tié pié­tonne et de l’asphalte qui en tapis­sait une autre. Le jeune anglais se mêla aux tou­lou­sains, aux badauds, aux tra­vailleurs en mar­che vers leur ter­rier, aux étu­diants à laboure sor­tant du Crous et cou­rant vers leur bus, aux gens venus sim­ple­ment flâ­ner de bonne heure. Il regarda sa mon­tre. A l’ins­tar des pres­sés, il n’avait plus trop le temps de pren­dre son temps.

Arrivé sur la place, Greendle oublia pres­que aus­si­tôt le monde qui l’entou­rait. L’espace réservé au mar­ché aux puces qui fleu­rait les alen­tours de la basi­li­que, débor­dant à peine sur les ruel­les, la place qui était meu­blée d’étals à auvents déco­rés de diver­ses mar­chan­di­ses, de camion­net­tes, de « tablées » en hau­teur et à même le sol s’effa­cè­rent dans ses noi­set­tes ver­dâ­tres. Elles s’étoi­lè­rent, se tapis­sè­rent de vieux par­che­mins, de livres déca­tis et de livres quasi neufs, de livres famé­li­ques et d’ouvra­ges volu­mi­neux, de cou­ver­tu­res gla­cées et de recou­ver­tes de cuir écor­nées à dif­fé­rents degrés. L’ama­teur de lit­té­ra­ture en tout genre en oublia même les mar­chands à la sau­vette en train d’alpa­guer le pre­mier badaud, le pre­mier pas­sant venu. Plus dis­crets, des librai­res assis au fond de leur siège atten­daient patiem­ment que l’on vienne à eux en lisant un bou­quin. Cer­tains - les plus tar­difs ? - s’occu­paient à arran­ger la dis­po­si­tion de leurs « tré­sors ».

Tout en effleu­rant des yeux les pay­sa­ges let­trés qui offraient leur sur­face, notre anglais com­mença à déam­bu­ler d’un pas non­cha­lant. Il savou­rait cet ins­tant qu’il ne tarda cepen­dant pas à échan­ger con­tre un autre. Une pan­carte de for­tune « Les plus grands auteurs du 19ème » sem­blait lui faire de l’oeil. Il s’arrêta devant une pile dédiée aux poè­tes.

- Bon­jour mon­sieur ! salua le bou­qui­niste. Il pour­sui­vit sans atten­dre qu’un mot ne sorte de la bou­che de son client poten­tiel. Vous avez l’embar­ras du choix, que des chefs d’oeu­vres !

- Bojour ! Est-ce que vos aïvez un Vic­tor Hugo à me con­seiller ? demanda Greendle avec son accent anglais tout en tour­nant la tête vers son inter­lo­cu­teur à qui il adressa un léger sou­rire. On me l’a sou­vent con­seillé pour par­faire maille cul­ture sur votre lit­té­ra­ture.

- Oh, un lord ! dit le ven­deur avec une pointe d’humour. Oui ! J’ai, et on vous a bien con­seillé. Enfin, vous vou­lez de la poé­sie ? ou des his­toi­res épi­ques ? ques­tionna-t-il en com­men­çant à mani­pu­ler les livres. Quoi­que je demande, mais de lui j’ai sur­tout des romans à ven­dre…

- Hmm… Je… Des his­toi­res alors ?

- Si vous vou­lez, la semaine pro­chaine je pour­rai vous dégo­ter un recueil de poè­mes et un de ses plus grands clas­si­ques que j’ai vendu il y a peu. Mais si vous avez les moyens, j’ai cette superbe édi­tion de L’Homme qui rit. Sur la cou­ver­ture il y a une magni­fi­que hélio­gra­vure. C’est ins­piré d’un pan de l’his­toire anglaise. Et ça tombe bien, vous êtes anglais, si je ne m’abuse ?!

Le bou­qui­niste lui ten­dit un volu­mi­neux livre tout de cuir noir vêtu, il sen­tait bon le par­che­min. Greendle hocha posi­ti­ve­ment la tête, ses lèvres se fen­di­rent en un fugace large sou­rire et il appré­cia le con­tact avant de pren­dre un air inter­ro­ga­teur.

- Vous m’avez dit si j’ai les moyens ? s’inquiéta Greendle.

Une brève négo­cia­tion s’ensui­vit puis, les deux par­ties satis­fai­tes des ter­mes de la tran­sac­tion qui tenaient en deux beaux billets de vingt euros, il mit la main dans sa besace, paya, ran­gea, salua et reprit sa déam­bu­la­tion. Il n’avait plus vrai­ment le temps, ni l’argent, il con­ti­nua néan­moins à chi­ner. D’autres mer­veilles lui ten­daient les pages et il ne vou­lait pas lou­per celle qui le ravi­rait. Il enchaîna ainsi les étals des bou­qui­nis­tes.

Dif­fé­ren­tes trou­vailles, un livre sur les globe-trot­teurs d’une plume vaga­bonde, un d’un autre roman­cier célè­bre, un sur une pièce de théâ­tre d’un auteur-comé­dien tout aussi réputé, atti­rè­rent son atten­tion… sans qu’il n’en fasse l’achat.

Dans un virage, alors qu’il avait pres­que fait le tour du mar­ché aux puces, de l’offre de ces ven­deurs de vagues d’hier, de voya­ges intem­po­rels en péri­phé­rie, en long en large et au tra­vers l’âme humaine, et alors qu’il s’apprê­tait à sor­tir son appa­reil photo pour gra­ver la place dans les octets, gar­der une trace des autres chi­neurs qui bras­saient les livres, les mar­chan­di­ses avec une con­vic­tion pro­por­tion­nelle à leur prix, c’est parmi un des rares ven­deurs de bro­cante non lit­té­raire et non ves­ti­men­taire (le samedi étant plus ou moins con­sa­cré aux livres et aux ajouts de « peaux » ), que Greendle posa ins­tinc­ti­ve­ment ses yeux sur ce qui aurait pu être sa plus belle acqui­si­tion du jour.

à sui­vre / to be con­ti­nued - cli­quez ici pour lire la suite

© Pas­cal Lama­chère - mai 2008

p.s : cli­quez ici pour mirer quel­ques pho­to­gra­phies de lieux où s’ancre une par­tie de l’his­toire.

dimanche, mai 4 2008

Les pages déchirées - roman à suivre


Cha­pi­tre 1 – Greendle et la plume chi­née


« Un crin de lumière trans­perce
Dans sa course,
Une ombre se déchire,
Un trou dans le mur
Et l’impres­sion d’infini au-delà…
 »

Tel est le che­min à venir d’un type, un homme bap­tisé Greendle. Il se con­si­dé­rait, s’était con­si­déré ordi­naire jusqu’à ce que…

« Le prin­temps danse
avec les nua­ges et le soleil,
dans les rues les fleurs s’ouvrent,
les étoi­les s’y épar­pillent… »

Un beau jour de mai, ces quel­ques mots chan­tés, accom­pa­gnés d’une musi­que clas­si­que dif­fu­sée par son radio­ré­veil, le firent s’écu­mer vers le monde des yeux ouverts. Bran­ché sur sa radio favo­rite, il enleva sa couette, s’étira, puis resta quel­ques ins­tants allongé, repen­sant aux son­ge­ries de la nuit qui ne se s’étaient pas encore éva­po­rées vers la dimen­sion hors de por­tée des éveillés. Une fois fait, il se tourna vers le cal­le­pin posé sur la table de che­vet, légè­re­ment à che­val sur sa paire de lunette, non loin de l’appa­reil son­nore. Après un ins­tant d’hési­ta­tion, il se leva, sai­sit le cale­pin de for­tune (dans lequel était glissé en mar­que page un stylo) et se mit à scri­bouiller tout ce qu’il venait de pas­ser en revu.

« la sai­son dérai­sonne,
l’homme rai­sonne,
des bouts de terre gro­gnent… »

Greendle appuya sur le bou­ton off, fit trô­ner sur son nez légè­re­ment aqui­lin la mon­ture cui­vrée de ses lunet­tes ron­des, se diriga vers la petite salle de bain de son 23 mètres carré. Devant le miroir au des­sus de l’évier, il plissa ses petits yeux, « con­tem­pla » son reflet de jeune homme de 28 ans. Ses che­veux bruns, bien qu’assez courts, avaient trouvé le moyen de se met­tre en vrac. Il les ébou­riffa, passa ensuite ses mains sur sa fine mous­ta­che, sa barbe nais­sante et en fin ses pom­met­tes saillan­tes, avant de traî­ner son corps d’allure com­mune sous la dou­che.

« I hoope a day
loove will knock in my hearth
and the suun shine
and the suun… »

Ce jeune pho­to­gra­phe-repor­ter se prit à chan­ton­ner, avec sa voix anglaise chaude et mélo­dieuse, de la soupe d’un boys band bien de chez lui. Bien qu’il avait eu le cou­rage de s’expa­trier en France, à Tou­louse, Greendle se défi­nis­sait lui-même comme un barou­deur pan­tou­flard et aimait bien avoir ses repè­res lui rap­pe­lant sa terre d’ori­gine, aussi peu à son goût soient-ils. Ceci dit, cette chan­son tra­dui­sait plus un man­que. Céli­ba­taire pres­que endurci, il avait gâché tou­tes ses poten­tiel­les rela­tions depuis sept bon­nes années, fait fuir tou­tes les fem­mes qui s’inté­res­saient à lui. Il en regret­tait un cer­tain nom­bre, par­fois une plus que les autres, mais au fil du temps les regrets chan­geaient de tête, ce qui en soit, se rai­son­nait-il, était la preuve qu’il n’y avait para­doxa­le­ment rien à regret­ter. Tou­jours est-il qu’il avait l’élan pour com­pen­ser, en appa­rence, ce vide : il menait de front deux jobs, enfin, plu­tôt deux pos­tes, l’un de cor­res­pon­dant pho­to­gra­phe-repor­ter pour un jour­nal anglais, l’autre de pho­to­gra­phe repor­ter pour un local. Son temps libre en était devenu peau de cha­grin. Tou­te­fois, il se débrouillait pour grap­piller, lier les acti­vi­tés, et ne se plai­gnait pas de son sort. Ainsi, aujourd’hui, samedi, il avait décidé de faire son « shop­ping » en se ren­dant sur son lieu de repor­tage…

Dou­ché, coiffé, « déo­do­risé », habillé, le sac - pré­paré la veille - en ban­dou­lière sur l’épaule gau­che, Greendle était paré. Plus par habi­tude, par acquis de cons­cience quasi obses­sion­nelle que par néces­sité, il véri­fia sur son agenda vir­tuel le pro­gramme de la jour­née. Il n’y avait rien de bien dif­fé­rent des autres jours, il savait déjà où il devait aller, ce qu’il vou­lait faire avant. Il ran­gea son agenda, étei­gnit la lumière et sor­tit…

« L’ombre dia­phane
des pro­mes­ses de la nuit
s’éva­nouit
au creux de la volonté
trop acé­rée…
 »

Dans la fraî­cheur mati­nale de la ville, non loin du Grand Rond, il regarda sa mon­tre à aiguilles qui indi­quait 6 h 45. Il avait le temps de pren­dre son break­fast dans un bar et de flâ­ner sur le mar­ché aux puces et à la bro­cante de la Place Saint Ser­nin. Sur le che­min, il se choi­sit donc une petite table, près d’un coin de ver­dure, en plein un hot-spot wifi gra­tuit. Il passa com­mande et posa devant lui son petit ordi­na­teur por­ta­ble pour che­cker ses mes­sa­ges.
Celui d’une amie-du-net japo­naise fit à ses lèvres for­mer un large sou­rire. Expa­triée sur une île, qu’elle lui avait dit, ne pré­ci­sant ni le nom ni « l’empla­ce­ment géo­gra­phi­que approxi­ma­tif », ses envo­lées fleu­raient bon la lumière et la cha­leur équa­to­ria­les. Il avait entamé des échan­ges épis­to­lai­res avec elle par l’entre­mise d’un site de poé­sie sha­kes­pea­rienne. Après que le ser­veur a déposé son thé, son jus de pam­ple­mousse, son crois­sant et son oeuf au plat, après un « mirci » et l’entame des mets, il rédi­gea sa réponse :

« Cher Liloo,

J’ai lu avec grand plai­sir ce que tu m’as envoyé, voici un petit écho pseudo poé­ti­que en guise de cla­viar­dage impres­sion­na­tif :

Le pay­sage de tes mots m’émeu­vent,
je les ima­gine mur­mu­rer aux vagues
la beauté de la terre qu’elles ne peu­vent tou­cher,
qu’elles admi­rent au tra­vers de leur écume,
je les ima­gine por­ter par elles et venir tou­cher d’autres rives
comme une bou­teille à la mer tra­ver­sant l’océan
et échouée avec amour,
trans­for­mant le rocailleux
en une myriade de sable fin…

@mi­ca­le­ment,
Gree­gree »

Greendle cli­qua sur « envoyer » puis englou­tit ce qui res­tait, ran­gea son petit ordi­na­teur et prit congé…