Chapitre 2 – Au-delà de la brume - Suite 5 du roman à suivre 'Les pages déchirées' (partie 6)
Par Pascal Lamachère le samedi, avril 18 2009, 21:50 - Romans à suivre - Lien permanent
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Chapitre 2 - Au-delà de la brume
Greendle passa deux jours à se plonger dans un travail intensif, plus qu’il ne l’avait prévu. Entre entretiens, photos, rédaction et aide à apporter à ses collègues pour cause de réduction d’effectifs, il avait mis de côté ses échanges avec Liloo et il avait oublié l’étrangeté de ses derniers rêves, jusqu’à ce qu’il déambule dans la petite rue Léon Gambetta…
L’air s’était rafraîchie, les nuages dans le ciel étaient d’un gris très sombre, capturaient la lumière comme un filet de pêche aux mailles serrées tiré dans un océan de gros poissons. Malgré cette atmosphère annonciatrice de giboulées de mars très très en retard, notre anglais, « emmitouflé » dans sa veste en cuir, avait voulu faire un tour sur les berges de la Garonne après une journée harassante et avait dirigé ses pas en conséquences. Mais un abat de fins projectiles glacés eut raison de sa soif de bouillons fluviaux et il choisit de se « réfugier » dans le cyber de la rue. Il le fit d’un pas nonchalant, pendant que les rares personnes n’étant pas encore à se sustenter se mirent à courir. Comme si leurs estomacs criaient famine et qu’elles s’en trouvaient en danger de mort, elles lui semblèrent sauter et se précipiter à la manière des pirates de son rêve. Dans la foulée, les tambours des cieux raisonnèrent et un éclair les brisa. Dans cet élan surréaliste, à travers un chapelet de grêlons éclairés, Greendle crut apercevoir un diablotin familier en train de lever le poing au ciel. Il tressauta, secoua la tête et pénétra dans un air chauffé par les humains et les machines.
Le cyber était presque bondé. Il lui fallait attendre un peu avant d’avoir une place parmi la trentaine de postes. Le photographe-reporter en profita pour apprécier l’éclairage légèrement tamisé, observer les gens en train de vaquer à leurs « occupations électroniques » et détailler le décor… Au fond de la salle, une affiche (scotchée contre une séparation en contreplaquée posée entre deux ordinateurs) attira particulièrement son attention. Titrée Les Pirates de l’espace en concert, il eut du mal à en croire ses yeux. Avait-il fait un semblant de rêve prémonitoire ? Une simple coïncidence ? Sa souris se rendit sur leur myspace, une fois devant un ordinateur. La musique qui entra dans ses oreilles fut plus soft que ce à quoi il s’était attendu avec un tel nom. Ses doigts enregistrèrent dans l’agenda le lieu et la date du show, puis consultèrent ses mails. Liloo n’avait rien écrit. Greendle claviarda quelques mots pour l’informer qu’il avait passé deux journées folles, qu’il envisageait d’aller à un concert d’un groupe de rock français dans quelques jours et qu’il serait probablement très occupé le reste du temps, en grande partie à cause de l’épée de Damoclès de la crise économique que le directeur de la rédaction avait finalement laissé tomber sur le journal.
Après avoir envoyé le message, le geek se rendit compte que son ventre réclamait de l’essence de vie. Il regarda par la fenêtre. Il faisait toujours aussi sombre mais il n’y avait plus qu’une pluie fine à venir titiller les briques, les têtes métallisées et le bitume. Il se leva d’un geste vif, vêtit sa veste, sortit de sa besace de quoi payer l’accueillante asiatique à l’entrée. Greendle desserra ses dents pour lui offrir un sourire un peu bêta tout en versant dans sa main la somme qu’elle lui avait demandée avec un accent exotique.
- Au… au r’voir ! balbutia timidement l’anglais avec son accent.
- See you soon ! Take care with this weather ! rebondit la jeune employée qui avait levé la tête pour le regarder droit dans les yeux, tout en rangeant la monnaie.
- Sa… Sayônara ! répondit radieux l’amateur de langues qui sommeillait en lui, souhaitant aussi et surtout rendre la faveur de la jeune femme en s’exprimant à son tour dans sa langue maternelle.
- Hihihihi… i’m not Japanese ! Hihihihi… expliqua-t-elle entre deux rires cristallins.
La jeune femme s’excusa et s’apprêta à répondre à l’interrogation faciale de son interlocuteur, mais un client pressé se manifesta. La voyant se détourner, l’anglais prit congé en dissimulant assez mal un air contrit naissant. Lorsqu’il passa la porte, une voix féminine lui souhaita une bonne soirée. Il ne se retourna pas et s’engouffra dans l’écume des nuages sans ajouter mots.
En route vers son « Home, Sweet Home », le lord dut essuyer un bref redoublement d’averse, des éclaboussures de voitures et de camionnettes. Mouillé du bout des pieds à la pointe des cheveux, la porte de son chez-lui franchie, il ferma les volets, mit un cd de Craig Armstrong, se déshabilla, prit une douche bien chaude et, une fois séché, vêtit son peignoir et des pantoufles. Le reste de la soirée fut consommée entre un menu réchauffé, des tranches de pages de L’Homme qui rit et des pages d’un carnet, à peine entamé jusque-là, qu’il noircit de paysages lettrés au passage de son calame doré. Il y peignit un début de conte sur une grenouille vivant sur les berges du canal du midi…
Lorsqu’il ressentit le poids de la fatigue sur ses mains, Greendle laissa choir sa plume, fit naître le voile de la nuit, s’allongea et se laissa envahir par la symphonie pluvieuse sur la barque des rêves.
« Nuages gris,
Soleil nocturne,
Quelques maux enfouis
dans l’Urne
d’un magicien
non Humain
resurgissent
au détour
d’une âme créatrice
piégée dans un four… »
Cette nuit-là, le rêveur explora des songes plus insolites que jamais. Il commença par rêver qu’il se trouvait aux côtés de Michael Jackson, dans l’O2 Arena de Londres, le jour de la première du come back de la star. Aux premières paroles d’Heal The World, Greendle se retrouva face à une montagne inconnue, sur une terre en train de trembler. Aux premiers signes d’éruption, une brume se forma autour de lui, mais le décor ne changea pas immédiatement. Petit à petit, la montagne se liquéfia, son odorat fut titillée par une odeur âcre, deux bâtiments en feu prirent forme et…
- Sauvez-moi ! Sauvez-nous ! Par ici ! En haut !
Greendle ne sut où donner de la tête. Il avait le tournis et ne savait plus distinguer le haut du bas, la gauche de sa droite. Finalement, il se dirigea à l’instinct et… il se fit happer par un tourbillon orange. Quand il fut en mesure d’avoir l’esprit clair, que le paysage fut posé, il ne put bouger, enfermé dans une bulle translucide au-dessus d’un gouffre infini. Il assista en spectateur à une drôle de scène. Cerise sur la bizarrerie, bien qu’il se sentit étranger, non concerné, il avait la sensation de savoir, de connaître…
… Corianthe contemple le vide. En mettant de côté tout un tas de différences fonctionnelles, intérieures, non visibles dans cette position, elle ressemble à une humaine costumée et grimée pour une « soirée dépareillée » : une robe marine portée du menton aux chevilles avec un couvre chef en forme de chapeau de magicien couleur sang. Mais ce n’en est pas une. C’est une Mondine. Sa « robe » et son « chapeau » sont une partie de sa chair, ce qu’elle tient entre les mains est son coeur sur lequel sont plantés ses yeux, son nez est très fin, ses oreilles rondes, son teint de peau passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel en fonction de son humeur… Et, à cet instant, elle est des plus mélancoliques.
Entre sacrifice et trahison, le chemin de cette créature l’a menée face à ce précipice. Elle n’a plus le choix. Il lui faut plonger dans l’abîme. Elle y a été condamnée. Elle ne peut y échapper. Une perle bleue s’extirpe de la masse argentée qui trône dans la paume de ses mains jointes ; la première et dernière larme de son coeur de Mondine. Elle espère que, malgré tout ce qu’elle a fait, elle sera sauvée pendant son saut, qu’elle obtiendra rédemption, qu’un valeureux Mondin viendra lui offrir une chance d’arranger l’irréparable.
Les jambes de Corianthe frémissent. Elles sont l’antre, le seuil de ses poumons. Elle a pris une dernière bouffée, « pour la route ». Son « chapeau » tourne un instant, elle lâche la masse argentée et saute…
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© Pascal Lamachère – avril 2009
Commentaires
quel talent ! la poésie existentialiste de l'univers s'épanouit ! superbe !