Blog littéraire, artistique de Pascal Lamachère

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Balise - humoristique

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jeudi, septembre 27 2012

Conte - Project Chaos - Suite 1


Pour (re)lire la pre­mière par­tie cli­quez ici


…  Sou­dain, un vor­tex noi­râ­tre se forma tout à côté. La plume et le corps lié y plon­gè­rent sans se poser de ques­tion, pour réap­pa­raî­tre dans un clair-obs­cur. 
Cette fois-ci, ce vor­tex resta ouvert. 
Non loin, en face, adossé à un mur de suie sem­blant n’avoir de fin, que cela soit en hau­teur à droite ou à gau­che, en des­sous de l’uni­que fenê­tre - en arc de cer­cle légè­re­ment pointu au som­met - visi­ble à vue d’oeil, un homme res­tait immo­bile, tête bais­sée, crâne cou­vert d’une capu­che noire, le reste de la chair emmi­tou­flée dans une toge tout aussi noire. 
 
Les poils de l’auteur se dres­sè­rent. Il eut une étrange sen­sa­tion, une sorte de froid dans le dos sans vrai­ment avoir froid, du moins qu’un court ins­tant, de celui qui pré­cède l’intros­pec­tion… De l’homme se déga­geait une pro­fonde soli­tude, comme s’il cher­chait à se cacher de tous, y com­pris de lui-même, sans pour autant en être tota­le­ment affecté, y trou­vant même une paix cer­taine, tel un puis­sant feu dor­mant pro­tégé par une bulle givrée avec assez d’espace pour qu’ils ne s’affec­tent pas res­pec­ti­ve­ment. 
Par la fenê­tre, se dis­tin­guè­rent des ombres som­bres rôdant autour, sur un fond bleu. De temps en temps, elles sem­blè­rent vou­loir mener un assaut, mais n’étaient pas assez éthé­rées pour pas­ser  à tra­vers la matière sépa­ra­trice, ni assez pal­pa­ble pour sim­ple­ment la bri­ser.
 
… Sou­dain, la plume suinta l’encre sang, s’échappa de la main qui la tenait… et alla se dres­ser face à la fenê­tre. Tout de go, dans un élan fluide, l’homme se redressa et se tourna vers la fenê­tre, l’ouvrit en se sai­sis­sant de la plume qu’il agita dans l’air… 
 
Il s’échappa des éclairs rou­geâ­tres qui allè­rent frap­per les ombres… et les trans­for­mè­rent en fleurs géan­tes. L’homme lâcha la plume, grimpa sur le bord, sauta, com­mença à cou­rir vers la gau­che, en sou­le­vant sa capu­che au moment où il quitta l’hori­zon vu par la fenê­tre depuis la posi­tion du scri­bouilleur, et la plume n’en vit pas plus non plus, s’étant retour­née. Elle sen­tit néan­moins qu’il avait fait fon­dre le givre et que son éner­gie s’était con­nec­tée avec celle de ce monde… Quel­ques mots se déga­gè­rent de tout ceci…
 
« Dans le silence agité
De l’age­nouillé,
Dans l’ombre
 du cha­grin
alité,
Tom­bent les armes…
 
Une fois con­sommé,
Il n’y a plus qu’à se bais­ser,
Ramas­ser le glaive maculé
du pur
Et se rele­ver
A la recher­che de la vraie lumière… »
 
Aus­si­tôt ancrés, nos deux com­par­ses repas­sè­rent par le vor­tex… Qui ne s’éva­pora tou­jours pas une fois arri­vés dans un ailleurs, si ce n’est qu’il ne fut plus noi­râ­tre, mais… arc-en-ciel. Le ciel cré­pus­cu­laire en était recou­vert de plu­sieurs. Un bâti­ment cir­cu­laire royal, en or rouge, res­sem­blant à celui du vil­lage de Flo­ro­rie sur la pla­nète de L’or des pas­sa­ges, se dres­sait devant. Juste à côté, sur une pan­carte en or blanc, était écrit en or vert : 
 
« Urgent,

Cher­che per­son­nes moti­vées pour faire la révo­lu­tion uni­ver­selle !

S’adres­ser à votre ambas­sade fée­ri­que en fai­sant six fois le tour de vous même dans le sens des aiguilles d’une mon­tre, un poing levé et en coeu­rant « vive le par­tage ! » »
 
Sur  ces mots, la plume s’agita, l’auteur se laissa gui­der, exé­cuta la sorte d’incan­ta­tion…

La plume révéla dans la fou­lée ce qui dor­mait dans une page blan­che :

 
« Sur mes plans de scri­bouilleur
Sur mes brouillons et la pous­sière de toile
Sur l’ère de l’automne
J’écris ton nom
 
Sur tous les uni­vers visi­tés
Sur tous les ins­tants à venir
Glace feu eau ou terre
J’écris ton nom
 
Sur le jour­nal aimé
Sur les cala­mes posés
Sur le cri silen­cieux des esprits
J’écris ton nom
 
Sur l’urbain et le rural
Sur les murs sur les toits et les foyers
Sur les sta­tues de sel
J’écris ton nom
 
Sur les rêves du jour et de la nuit
Sur les engre­na­ges héri­tés d’ori­gine rouillés
Sur le temps à dérou­ler
J’écris ton nom
 
Sur tou­tes les pages déchi­rées
Sur les non-dits man­gés par les vers
Sur l’hori­zon qui bouge
J’écris ton nom
 
Sur les abî­mes plai­­nes et mon­ta­gnes
Sur l’oeil de la lune
Et sur les crins solai­res
J’écris ton nom
 
Sur cha­que ins­pi­ra­tion des tri­pes
Sur ce qui sépare et réu­nit
Sur la soif et la faim de vie
J’écris ton nom
 
Sur les nua­ges trou­blés
Sur le vent déchaîné
Sur les gout­tes volon­tai­res cor­ro­si­ves
J’écris ton nom
 
Sur les for­mes tapies dans l’ombre
Sur les mur­mu­res pesés dans le noir
Sur la vérité de l’union du corps et de l’esprit
J’écris ton nom
 
Sur les voies du réveil
Sur les ave­nues à venir
Sur les con­ver­gen­ces qui tré­pi­gnent
J’écris ton nom
 
Sur les écrans qui s’allu­ment
Sur les écrans qui s’étei­gnent
Sur nos rai­sons sen­ties
J’écris ton nom
 
Sur le socle iné­bran­la­ble
De l’élan qui ne coupe la poire en deux
Sur ma main sou­ple mais ferme
J’écris ton nom
 
Sur l’étin­celle bouillante
Qui ouvre les murs de ma tête
Sur les flux de mon corps et mon âme enra­gés
J’écris ton nom
 
Sur ce qui ne doit plus durer
Sur les chaî­nes à bri­ser
Sur les remous des indi­gnés
J’écris ton nom
 
Sur tout ce qui est avalé
Dans la poi­gnée ten­due
Sur cha­que poing levé
J’écris ton nom
 
Sur les cieux à bario­ler
Sur les silen­ces à écou­ter
Du bout des lèvres
J’écris ton nom
 
Sur les décom­bres
Sur les souf­fles cou­pés
Du bout d’une plume ravi­vée
J’écris ton nom
 
Sur le cen­tre de mon coeur
Sur les mots et les maux qui tuent
Pour les enro­ber d’un bou­clier
J’écris ton nom
 
Sur tout ce qui peut renaî­tre
Sur les ris­ques à pren­dre
Sur le vert et rouge per­sis­tants
J’écris ton nom
 
Sur tout ce qui est à réveiller
Pour cons­truire… de nos pro­pres mains
Le monde… de demain
*
J’écris ton nom
 
Et par le pou­voir d’un bond
J’ouvre grand les yeux de la cons­cience et m’élance
Je suis né pour te con­naî­tre
Pour te nom­mer
 
Révo­lu­tion… »

 
(Ins­piré du poème Liberté de Paul Eluard http://www.poe­tica.fr/poeme-279/liberte-paul-eluard/
* Deux vers issus du billet : Le cer­cle des poè­tes réap­pa­rus : http://www.lejour­nal­de­per­sonne.com/2012/08/le-cer­cle-des-poe­tes/ )

La porte du bâti­ment royal s’entrou­vrit. Dans l’entre­bâille­ment, des par­che­mins vire­vol­taient, dan­saient au rythme d’une douce sym­pho­nie libé­rée. Au tra­vers du vitrail au-des­sus de la porte, se des­si­nè­rent une sil­houette, puis une autre, et encore une autre…

Le scri­bouillard eut envie d’aller se pré­sen­ter, mais alors qu’il eut fait quel­ques pas, passé la pan­carte, un dra­gon noir se maté­ria­lisa devant lui. Aus­si­tôt, la porte se referma et les sil­houet­tes s’éva­noui­rent. Face à l’inti­mi­dante créa­ture, l’homme recula. Le dra­gon ne bou­gea pas d’un cil, le toi­sant juste de ses yeux téné­breux. Un autre pas en arrière… et tout se figea, même un oiseau dans le ciel, entre deux arcs-en-ciel.

« … Qu’est-ce qui se passe ? »

« Chut ! » lui ordonna la plume.

« Oui, mais… C’est toi qui as pro­vo­qué cet arrêt ?! »

« L’essen­tiel n’est pas dans tes mots ! Tu ne dois pas per­dre de vue l’essen­tiel… »

« Ah ? Je me demande bien pour­quoi je te tiens alors… » répli­qua l’auteur avec un léger ton iro­ni­que.

« Cette joute ver­bale ne rime à rien… »

« Juste, nous som­mes en prose ! » rebon­dit la bou­che taquine.
 
« … »

« Tu sous-entends que le dra­gon, c’est moi qui…  ? Oh… Je dois le vain­cre à l’inté­rieur de moi ? Com­ment ?! »

La plume haussa ses bar­bes et se tourna vers le vor­tex qui com­men­çait à chan­ger de cou­leur…

 « … Hey ! J’ai envie de la faire, cette révo­lu­tion ! Et d’aller voir, d’aller dis­cu­ter avec ces per­son­nes ! Pour­quoi tu veux qu’on aille s’embar­quer dans ce vor­tex ? »

L’auteur décida de se met­tre dans la posi­tion du lotus, face au dra­gon. Les con­tours de ce der­nier com­men­cè­rent à deve­nir flou…
Sou­dain, tout s’anima de nou­veau… mais le vor­tex avait grossi et l’englou­tit avec sa plume, ne lui lais­sant pas savoir si il avait réussi, ne lui lais­sant pas le choix.

Lorsqu’ils s’incar­nè­rent de nou­veau, le vor­tex, cette fois, se referma. Ils étaient reve­nus près de la bulle de Gel… L’homme grom­mela, se pro­met­tant de reve­nir visi­ter le pré­cé­dent « lieu » dès que pos­si­ble, d’une manière ou d’une autre…
 
Suite, avec début légè­re­ment revu, à lire en cli­quant ici

Pas­cal Lama­chère - 27 sep­tem­bre 2012

samedi, septembre 5 2009

Project Chaos - Histoire humoristique à suivre


Yope !

J’ai repris un scri­bouillage qui date un peu pour, je l’espère, le plai­sir de vos zygo­ma­ti­ques. A pren­dre au second, troi­sième… au degré que vous vou­drez. Atten­tion cepen­dant, mal­gré l’air autom­nal, au pre­mier et au-delà du mil­lième degré de lec­ture, un effet secon­daire peut pro­vo­quer une flam­bée des pages ou de l’écran et des brû­lu­res néces­si­tant une lec­ture kaf­kaïenne som­bre qui fera bais­ser la tem­pé­ra­ture.

Te voilà pré­venu fidèle (ou pas) lec­teur/lec­trice ! Ainsi, l’auteur décline toute res­pon­sa­bi­lité quant aux effets secon­dai­res de l’his­toire qui va sui­vre, d’autant plus qu’il ne sait pas encore tout ce qu’elle va con­te­nir…

Bonne lec­ture sourire

@ votre bon vou­loir !

Pro­ject chaos

Lais­sez-moi vous con­ter une his­toire, celle d’un auteur muet qui se « démue­tise »…

« Pour­rais-tu m’aider à te dépous­sié­rer, Plume ?! »

A la plume d’envo­ler : « Je ne subie pas les affres de l’immo­bi­lité de l’air, mon cher. C’est ta main qui est vide de moi ! »

« Mais… je… c’est parce que… je… l’encre… mes his­toi­res se sont immo­bi­li­sées dans ses gelu­res et sa séche­resse ! »

A l’encre sang, enfermé dans une vaste caverne, de se mani­fes­ter : « Hmm… Hmmm…. HMM ?!! Hey, oh ! Tu veux que je te tache de mes arcs-en-ciel ?! Tu t’es vu quand tu « silen­ces » ?! Si mon antre n’avait pas été obturé par la cris­tal­li­sa­tion de tes flux, les relents de tes son­ge­ries, de tes sali­nes refou­lées, je t’aurais même bariolé les pla­ges céles­tes du fin fond de l’uni­vers ! »

« Euh… même pas cap ! »

Dans le noir le… pres­que plus com­plet, l’encre acheva le tra­vail com­mencé, celui de per­cer les parois de sel pour dégou­li­ner et jaillir sou­dai­ne­ment sur les inters­ti­ces de son con­te­nant…

Dis­sol­vant petit à petit la for­tune cachée, des gout­tes s’unir pour for­mer des bul­les, les bul­les sui­vi­rent le cou­rant de lumière pour s’envo­ler dans l’hori­zon stel­laire…

« Hey ! Ne par­tez pas tou­tes ! J’ai besoin de vous ! »

A la plume de se rap­pro­cher de la main : « Sui­vons-les ! »

« Mais… je ne sais pas voler ! »

La plume tirant la main : « Tu sais me sai­sir avec doigté et me faire dan­ser des pay­sa­ges let­trés par un mou­ve­ment qui s’appelle écrire ! Non ?! »

« … »

Aus­si­tôt dit…

Une goutte d’encre se posa sur la face cachée de la lune, ou plu­tôt tomba au creux des babi­nes d’un chat pas comme ses con­frè­res ter­riens. Ce chat, Frip­pon, avait les pat­tes sur la cour­ti­sane de la terre. Mais… même si cela pour­rait être un sujet de débat pas­sion­nant pour les émi­nents astro­no­mes, bio­lo­gis­tes, éty­mo­lo­gis­tes et com­pa­gnie… ce n’était peut-être pas là sa plus mar­quante « curio­sité ». En effet, au-delà du fait qu’il n’avait pas de sca­phan­dre, de tenue spa­tiale, il était tout sim­ple­ment trans­lu­cide. Un œil humain aguer­rit n’arri­ve­rait à dis­tin­guer sa forme… qu’à moins d’une dizaine de mètres.

Bref, ce Frip­pon n’était autre que le roi des chats de la Voie lac­tée – il faut dire qu’il n’y en avait pas d’autre sur les autres pla­nè­tes de la galaxie – et alors que venait le visi­ter le roi Soleil, il res­tait le plus clair de son temps assis sur son trône lunaire situé au milieu de la face cachée de nos miret­tes ter­rien­nes. Com­ment fai­sait-il pour régner sur le royaume des chats qui nous entou­rent ? Bonne ques­tion ! La réponse dans un autre cha­pi­tre, si les bul­les d’encre le veu­lent bien. En « par­lant » d’elles… 

Pen­dant sa toi­lette, le gros matou se bar­bouilla quel­ques poils avant de fina­le­ment ingur­gi­ter toute la goutte, sans que sa trans­lu­ci­dité n’en soit alté­rée. Pas de quoi en faire un roman, juste de retrans­crire quel­ques paro­les échan­gées entre lui et Soleil devant la toile miri­fi­que de l’océan d’en haut où évo­lue une cohorte incon­nue :

« Miaou… Tu me grilles une fée de serre ? »

« Encore ? Tu sais, il n’en reste plus beau­coup ! Leur espèce est en voie d’extinc­tion, et je dois les griller plus long­temps pour faire dis­pa­raî­tre la pol­lu­tion de leur chair. »

« Miaaaooou ! »

« Une der­nière alors ! »

Etait-ce la cause du réchauf­fe­ment pla­né­taire ? Notre « ami » n’eut le temps « d’orai­son­ner » en son for inté­rieur : sur terre, non loin d’un vol­can endormi, une autre bulle d’encre happa son atten­tion…

(23 mars 2007)

La bulle était en train de se fon­dre dans toute la zone, deve­nant d’abord une micro­sco­pi­que cou­che, puis rejoi­gnant petit à petit les rangs de l’ato­mi­que…

« Du silence
Un jour je suis né…
Et…
Après quel­ques explo­sions…
J’y suis retourné… »

Sem­blait vou­loir dire les stig­ma­tes de la défunte acti­vité du vol­can.

En tachant les êtres vivants, en se mélan­geant aux eaux des sour­ces, des riviè­res et des lacs, en s’incrus­tant dans les pier­res, en s’impré­gnant des tra­ces, en « mour­rant pour y revi­vre » sous une autre forme, la pous­sière d’encre fit res­sor­tir une tran­che d’his­toire du lieu : suite à leurs « bour­des » répé­ti­ti­ves, les lutins - qui s’étaient occu­pés de la plom­be­rie, des tuyaux, de la chauf­fe­rie au fond du cra­tère - avaient été mis au chô­mage. Tech­ni­que ou virés ? Per­sonne ne put le dévoi­ler. Ce qui fut avéré, c’est qu’il n’y avait plus de tra­vail pour eux sur le lieu : à cause de leur der­nière « négli­gence », le plus gros des relents de l’enfer à régu­ler sur le site avait souillé la nature et il ne res­tait donc plus rien à con­te­nir, plus rien avant des mil­lé­nai­res. Ceci expli­quait le rela­tif calme. Rela­tif, car non loin du vol­can, dans une masure en lisière de la forêt cir­cu­laire, un homme vivait reclus, se cachait, aidé par le clan des fées Méri­des…

« … Qu’est-ce que des fées Méri­des ? » demanda l’auteur à sa plume.

« … Je t’en pose des ques­tions ? » fré­mit la plume dans l’air.

« … Ben, j’y répon­drais avec plai­sir ! » rétor­qua-t-il avec ses doigts.

« … Laisse cou­ler l’his­toire et tu auras ta réponse… » con­clut la plume qui s’imbiba des ato­mes d’encre pour s’ancrer à une nou­velle page…

Repre­nons le cours de notre tran­che d’his­toire…

… Dans une pièce qua­si­ment vide, l’homme était assis devant une vieille table de bois. Il pou­vait sem­bler se rap­pro­cher de la cin­quan­taine avec quel­ques che­veux gri­son­nants, des joues légè­re­ment fri­pées, des pro­fon­des rides mon­tant légè­re­ment vers le haut, comme si il avait fait trop de clins d’œil, un nez pou­vant être qua­li­fié de pif, des peti­tes oreilles aux lobes légè­re­ment poin­tus, un cou mus­clé, des épau­les lar­ges cou­ver­tes de « vête­ments com­muns », « com­muns » pour des êtres d’une autre dimen­sion. Non que l’homme n’était pas ter­rien, il n’était juste pas « humain », pas de notre dimen­sion…
Mais ce n’est pas uni­que­ment pour cela que les fées Méri­des l’aidaient à se cacher, voi­laient son exis­tence, le ren­daient plus ou moins invi­si­ble à tous, tou­tes dimen­sions con­fon­dues. Si par le pou­voir qui leur est con­féré, ces fées peu­vent à loi­sir vous inclure au cycle de la ronde ou vous en extraire, un peu comme si elles avaient le pou­voir de faire le cas­ting de la des­tiné, du calen­drier de la terre, elles pren­nent leurs ordres « d’en haut » et avaient pour mis­sion de pro­té­ger cet être, ce qui pas­sait par le « cacher ». Seule la fon­due, la sorte de déma­té­ria­li­sa­tion de la bulle a pu faire la « lumière » des­sus…
L’homme posa sa plume, ramena ses bras recou­verts de rien sur le bord de la table, se leva d’un bond, et dans sa tenue com­po­sée de « vête­ments com­muns » qui ne sont autre que sa nudité, sa tenue d’Adam, il con­tem­pla un ins­tant la let­tre qu’il venait d’écrire. Elle était des­ti­née à ses pro­tec­teurs, au con­seil de la fée­rie. Il leur expri­mait toute sa gra­ti­tude pour leur rela­tive aide, tout en leur deman­dant de lui per­met­tre de retour­ner d’où il venait, afin qu’il puisse agir d’une manière ou d’une autre, quitte à se met­tre en dan­ger…
Il hocha la tête en la mirant, comme pour se con­for­ter dans l’idée qu’il pre­nait la bonne déci­sion. Pou­vait-il en être autre­ment ? Vivre seul en lais­sant son peu­ple se faire mas­sa­crer sous pré­texte que de toute façon tout était perdu ? Il savait que le mage de son royaume avait voulu pro­té­ger ses inté­rêts en l’envoyant ici. Il l’avait accepté au début, dans le fol espoir que la nou­velle de sa dis­pa­ri­tion ferait ces­ser les agis­se­ments de la sor­cière du sep­tième cer­cle. Celle-ci avait juré sa perte suite à la « dis­pa­ri­tion » de quel­ques plan­tes rares qui avaient malen­con­treu­se­ment finies leur des­tin dans le ven­tre du fidèle des­trier du sou­ve­rain et les der­niè­res nou­vel­les n’étaient pas bon­nes : cette créa­ture « ran­cu­nière » avait levé une armée de nains tris­tus fer­nus, des clo­nes de dro­li­ti­cus fer­nus - des clo­nes uni­que­ment en corps, car l’âme des tris­tus est per­ver­tie, leur uni­que rai­son d’être est de faire du mal sans for­cé­ment faire rire… Une héré­sie au royaume du 999 !
Le nudiste sor­tit de ses son­ge­ries, se pen­cha pour attra­per de la main gau­che une clo­chette qui dor­mait à côté de l’encrier, il l’agita tout en tapo­tant la pointe de son oreille droite. Une fée Méride ren­tra dans la pièce, se posa sur son épaule droite et le fit ces­ser son drôle de geste.

« Vous êtes cer­tain ? Vous avez pris votre déci­sion ? Vous savez, on dit que rien ne peut arrê­ter cette sor­cière ! » susurra, dans le vif du sujet, la fée de sa voix fluette.

« Que le grand auréolé me fasse liqué­fier ou pous­ser des cor­nes sur le champ, si je ne le suis… euh, à la réflexion non, mais je veux essayer ! » répon­dit l’homme d’une voix pres­que éteinte.

« Je dois dire que ça nous sou­lage, nous som­mes de plus en plus nom­breu­ses, mais tout juste pour répon­dre à… la demande toute aussi crois­sante ! Aussi, mes­sire Gel, si vous vou­lez bien vous écar­ter… » expli­qua et requérra la fée.

Gel s’écarta légè­re­ment, puis plon­gea sans se faire prier dans le pas­sage que lui avait ouvert cette fée Méride…

Pas de quoi en faire un roman ! A peine un conte, une nou­velle ! Pensa l’oeil-coeur-cer­veau qui fai­sait bou­ger la plume. Pas si sûr… En même temps que le pas­sage s’était ouvert, la pro­tec­tion s’était éva­nouie et une autre bulle pu s’engouf­frer dans cette autre dimen­sion, prête à hap­per son atten­tion, à qué­man­der la pointe de la plume…

(19 octo­bre 2007)

… Cette der­nière pointa dans la direc­tion du vor­tex et com­mença à entraî­ner la main qui la tenait, avec le reste du corps par la même occa­sion. Son pro­prié­taire sem­bla se lais­ser traî­ner, hési­tant à sui­vre le che­min de l’étrange his­toire qui s’était ancrée sous ses yeux…

« Bon, alors ?! T’attends que le cro­que-page ramène sa gomme dans les para­ges ? » vibra la plume retour­née vers les miret­tes.

« Hum ! J’ai le droit de déci­der où je te pro­mène, non ? Et à vrai dire, je me deman­dais s’il ne serait pas plus inté­res­sant de… Hey ! »

La plume, badine, avait coupé court à la pseudo rhé­to­ri­que de la bou­che de son maî­tre en venant titiller ses nari­nes. Dans la fou­lée, l’ouver­ture vers la dimen­sion de Gel aspira tout l’air de la pièce. L’auteur n’eut d’autre choix que de se lais­ser aller, de se lais­ser gui­der pour à nou­veau met­tre en con­tact le fer et l’encre…
De « l’autre côté », la bulle avait déjà bien épousé des pay­sa­ges let­trés jamais obser­vés jusqu’à pré­sent : au bord d’une vaste plaine d’eau ver­dâ­tre, un châ­teau trô­nait au som­met d’une mon­ta­gne sableuse clair­se­mée, infes­tée de nains tris­tus fernu ; des per­son­nes du bon peu­ple en gue­nilles avaient été atta­chées çà et là le long des sen­tiers escar­pés, cer­tains nains «  s’amu­saient » à les enfon­cer le plus pro­fon­dé­ment pos­si­ble dans le sol fria­ble, une sor­cière assise sur un rem­part de la plus haute tour tour­nait le dos à quel­ques nobles et mages immo­bi­les. A l’inté­rieur des murs c’était tout autant la pagaille, si ce n’est plus, en dehors d’une pièce calme située dans les sous-sols. Il faut dire qu’elle était pro­té­gée par la magie du mage du royaume et que la sor­cière n’avait pas encore pointé son nez dans les para­ges. Gel y était apparu et, sur une sorte de banc cou­vert de tis­sus, était visi­ble­ment ren­tré en transe face à son ami, tout aussi habillé de nu, en dehors du cou­vre chef pointu tout étoilé. Le silence serait aussi de la par­tie, si deux peti­tes voix nain­fer­na­les­ques ne l’empê­chaient pas de se pré­sen­ter.
La plume se fau­fila pour gra­ver d’un peu plus près l’étrange scène. 
Un nain emmi­tou­flé dans une cape était en train de faire des mimi­ques, pré­sen­tant, visi­ble­ment, sa der­nière bla­gue à deux autres nains, avec la com­pli­cité d’un autre.

« Je suis Super Con ! » affirma t-il sur un ton dra­ma­ti­que en se dode­li­nant.

«  Meuh… nan ! » fit sem­blant de ras­sé­ré­ner son com­parse qui hocha la tête de bas en haut, tout en se fai­sant.

« Si si ! C’est mon nom ! »

« … Ah, Sisi c’est ton nom ?! »

« Mais non, Con ! »

« Je te per­mets pas ! C’est toi l’con ! »

« Oui, oui, c’est bien Con… mon nom de famille. »

« … C’est con comme nom de famille…»

« Naine en tutu bleu ! Je te l’avais dit ! T’es vrai­ment qu’un per­ro­quet tris­tus tout joyeux ! » insulta le « capé ».

« Et toi t’es qu’un… qu’un… bla­gueur sans fer­nus ! » rétor­qua le com­parse qui se rua, cor­nes bais­sées, sur l’autre.

Les deux autres nains sem­blè­rent prêts à se join­dre à cette petite bagarre ami­cale. Devant l’affli­geante tour­nure, l’atten­tion de la pointe se retourna vers Gel qui s’était levé d’un bond et s’était mis en colère alors qu’aucune parole audi­ble n’avait été échan­gée. Il avait visi­ble­ment fait le point de la situa­tion par télé­pa­thie.

« Et si la sor­cière met fin aux jours de quel­ques per­son­nes ?! S’il lui venait l’envie de s’en pren­dre à mon amie Atine, je ne pour­rais me le par­don­ner ! Je dois d’abord aller lui par­ler ! Lui faire une pro­po­si­tion qu’elle ne pourra décem­ment par refu­ser ! »

Le mage resta en transe, pour main­te­nir la pièce sous pro­tec­tion et pour…

« Oui, j’ai com­pris que des trac­ta­tions sont en cours avec des dro­li­ti­cus, que vous êtes en train d’enta­mer les pala­bres par l’inter­mé­diaire du con­seil de la fée­rie ! Mais cela ne fera sûre­ment qu’ali­men­ter le fléau !

De quoi je m’enflamme dans le vide ? Je… Et si je lui ser­vais d’appât vers le lieu de réu­nion ?! Oui, cela pour­rait être une bonne idée ! Je suis d’accord ! » sem­bla mono­lo­guer, voire soli­lo­quer Gel.

Pour seule réponse visi­ble, son ami forma une boulle avec ses mains, ce qui eut pour effet d’enve­lop­per Gel dans une bulle. Il lévita aus­si­tôt, sor­tit de la pièce en tra­ver­sant le mur, tel un fan­tôme, fut l’objet d’atten­tions par­ti­cu­liè­res des nains qui ten­tè­rent – en vain  - de nom­breu­ses pirouet­tes et qui ne réus­si­rent qu’à le faire rebon­dir sur les parois de l’esca­lier qu’il « mon­tait » à pré­sent. D’infi­mes par­ti­cu­les d’encre s’accro­chè­rent à la bulle lorsqu’elle s’engouf­fra par une fenê­tre du pre­mier étage…

La plume sem­bla hési­ter à sui­vre Gel, le plus gros ayant impré­gné cette rive, ce châ­teau, et d’autres bul­les qué­man­daient son atten­tion dans des ailleurs…

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© Pas­cal Lama­chère – février 2008

(*) A la demande de FCSSS