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…  Sou­dain, un vor­tex noi­râ­tre se forma tout à côté. La plume et le corps lié y plon­gè­rent sans se poser de ques­tion, pour réap­pa­raî­tre dans un clair-obs­cur. 
Cette fois-ci, ce vor­tex resta ouvert. 
Non loin, en face, adossé à un mur de suie sem­blant n’avoir de fin, que cela soit en hau­teur à droite ou à gau­che, en des­sous de l’uni­que fenê­tre - en arc de cer­cle légè­re­ment pointu au som­met - visi­ble à vue d’oeil, un homme res­tait immo­bile, tête bais­sée, crâne cou­vert d’une capu­che noire, le reste de la chair emmi­tou­flée dans une toge tout aussi noire. 
 
Les poils de l’auteur se dres­sè­rent. Il eut une étrange sen­sa­tion, une sorte de froid dans le dos sans vrai­ment avoir froid, du moins qu’un court ins­tant, de celui qui pré­cède l’intros­pec­tion… De l’homme se déga­geait une pro­fonde soli­tude, comme s’il cher­chait à se cacher de tous, y com­pris de lui-même, sans pour autant en être tota­le­ment affecté, y trou­vant même une paix cer­taine, tel un puis­sant feu dor­mant pro­tégé par une bulle givrée avec assez d’espace pour qu’ils ne s’affec­tent pas res­pec­ti­ve­ment. 
Par la fenê­tre, se dis­tin­guè­rent des ombres som­bres rôdant autour, sur un fond bleu. De temps en temps, elles sem­blè­rent vou­loir mener un assaut, mais n’étaient pas assez éthé­rées pour pas­ser  à tra­vers la matière sépa­ra­trice, ni assez pal­pa­ble pour sim­ple­ment la bri­ser.
 
… Sou­dain, la plume suinta l’encre sang, s’échappa de la main qui la tenait… et alla se dres­ser face à la fenê­tre. Tout de go, dans un élan fluide, l’homme se redressa et se tourna vers la fenê­tre, l’ouvrit en se sai­sis­sant de la plume qu’il agita dans l’air… 
 
Il s’échappa des éclairs rou­geâ­tres qui allè­rent frap­per les ombres… et les trans­for­mè­rent en fleurs géan­tes. L’homme lâcha la plume, grimpa sur le bord, sauta, com­mença à cou­rir vers la gau­che, en sou­le­vant sa capu­che au moment où il quitta l’hori­zon vu par la fenê­tre depuis la posi­tion du scri­bouilleur, et la plume n’en vit pas plus non plus, s’étant retour­née. Elle sen­tit néan­moins qu’il avait fait fon­dre le givre et que son éner­gie s’était con­nec­tée avec celle de ce monde… Quel­ques mots se déga­gè­rent de tout ceci…
 
« Dans le silence agité
De l’age­nouillé,
Dans l’ombre
 du cha­grin
alité,
Tom­bent les armes…
 
Une fois con­sommé,
Il n’y a plus qu’à se bais­ser,
Ramas­ser le glaive maculé
du pur
Et se rele­ver
A la recher­che de la vraie lumière… »
 
Aus­si­tôt ancrés, nos deux com­par­ses repas­sè­rent par le vor­tex… Qui ne s’éva­pora tou­jours pas une fois arri­vés dans un ailleurs, si ce n’est qu’il ne fut plus noi­râ­tre, mais… arc-en-ciel. Le ciel cré­pus­cu­laire en était recou­vert de plu­sieurs. Un bâti­ment cir­cu­laire royal, en or rouge, res­sem­blant à celui du vil­lage de Flo­ro­rie sur la pla­nète de L’or des pas­sa­ges, se dres­sait devant. Juste à côté, sur une pan­carte en or blanc, était écrit en or vert : 
 
« Urgent,

Cher­che per­son­nes moti­vées pour faire la révo­lu­tion uni­ver­selle !

S’adres­ser à votre ambas­sade fée­ri­que en fai­sant six fois le tour de vous même dans le sens des aiguilles d’une mon­tre, un poing levé et en coeu­rant « vive le par­tage ! » »
 
Sur  ces mots, la plume s’agita, l’auteur se laissa gui­der, exé­cuta la sorte d’incan­ta­tion…

La plume révéla dans la fou­lée ce qui dor­mait dans une page blan­che :

 
« Sur mes plans de scri­bouilleur
Sur mes brouillons et la pous­sière de toile
Sur l’ère de l’automne
J’écris ton nom
 
Sur tous les uni­vers visi­tés
Sur tous les ins­tants à venir
Glace feu eau ou terre
J’écris ton nom
 
Sur le jour­nal aimé
Sur les cala­mes posés
Sur le cri silen­cieux des esprits
J’écris ton nom
 
Sur l’urbain et le rural
Sur les murs sur les toits et les foyers
Sur les sta­tues de sel
J’écris ton nom
 
Sur les rêves du jour et de la nuit
Sur les engre­na­ges héri­tés d’ori­gine rouillés
Sur le temps à dérou­ler
J’écris ton nom
 
Sur tou­tes les pages déchi­rées
Sur les non-dits man­gés par les vers
Sur l’hori­zon qui bouge
J’écris ton nom
 
Sur les abî­mes plai­­nes et mon­ta­gnes
Sur l’oeil de la lune
Et sur les crins solai­res
J’écris ton nom
 
Sur cha­que ins­pi­ra­tion des tri­pes
Sur ce qui sépare et réu­nit
Sur la soif et la faim de vie
J’écris ton nom
 
Sur les nua­ges trou­blés
Sur le vent déchaîné
Sur les gout­tes volon­tai­res cor­ro­si­ves
J’écris ton nom
 
Sur les for­mes tapies dans l’ombre
Sur les mur­mu­res pesés dans le noir
Sur la vérité de l’union du corps et de l’esprit
J’écris ton nom
 
Sur les voies du réveil
Sur les ave­nues à venir
Sur les con­ver­gen­ces qui tré­pi­gnent
J’écris ton nom
 
Sur les écrans qui s’allu­ment
Sur les écrans qui s’étei­gnent
Sur nos rai­sons sen­ties
J’écris ton nom
 
Sur le socle iné­bran­la­ble
De l’élan qui ne coupe la poire en deux
Sur ma main sou­ple mais ferme
J’écris ton nom
 
Sur l’étin­celle bouillante
Qui ouvre les murs de ma tête
Sur les flux de mon corps et mon âme enra­gés
J’écris ton nom
 
Sur ce qui ne doit plus durer
Sur les chaî­nes à bri­ser
Sur les remous des indi­gnés
J’écris ton nom
 
Sur tout ce qui est avalé
Dans la poi­gnée ten­due
Sur cha­que poing levé
J’écris ton nom
 
Sur les cieux à bario­ler
Sur les silen­ces à écou­ter
Du bout des lèvres
J’écris ton nom
 
Sur les décom­bres
Sur les souf­fles cou­pés
Du bout d’une plume ravi­vée
J’écris ton nom
 
Sur le cen­tre de mon coeur
Sur les mots et les maux qui tuent
Pour les enro­ber d’un bou­clier
J’écris ton nom
 
Sur tout ce qui peut renaî­tre
Sur les ris­ques à pren­dre
Sur le vert et rouge per­sis­tants
J’écris ton nom
 
Sur tout ce qui est à réveiller
Pour cons­truire… de nos pro­pres mains
Le monde… de demain
*
J’écris ton nom
 
Et par le pou­voir d’un bond
J’ouvre grand les yeux de la cons­cience et m’élance
Je suis né pour te con­naî­tre
Pour te nom­mer
 
Révo­lu­tion… »

 
(Ins­piré du poème Liberté de Paul Eluard http://www.poe­tica.fr/poeme-279/liberte-paul-eluard/
* Deux vers issus du billet : Le cer­cle des poè­tes réap­pa­rus : http://www.lejour­nal­de­per­sonne.com/2012/08/le-cer­cle-des-poe­tes/ )

La porte du bâti­ment royal s’entrou­vrit. Dans l’entre­bâille­ment, des par­che­mins vire­vol­taient, dan­saient au rythme d’une douce sym­pho­nie libé­rée. Au tra­vers du vitrail au-des­sus de la porte, se des­si­nè­rent une sil­houette, puis une autre, et encore une autre…

Le scri­bouillard eut envie d’aller se pré­sen­ter, mais alors qu’il eut fait quel­ques pas, passé la pan­carte, un dra­gon noir se maté­ria­lisa devant lui. Aus­si­tôt, la porte se referma et les sil­houet­tes s’éva­noui­rent. Face à l’inti­mi­dante créa­ture, l’homme recula. Le dra­gon ne bou­gea pas d’un cil, le toi­sant juste de ses yeux téné­breux. Un autre pas en arrière… et tout se figea, même un oiseau dans le ciel, entre deux arcs-en-ciel.

« … Qu’est-ce qui se passe ? »

« Chut ! » lui ordonna la plume.

« Oui, mais… C’est toi qui as pro­vo­qué cet arrêt ?! »

« L’essen­tiel n’est pas dans tes mots ! Tu ne dois pas per­dre de vue l’essen­tiel… »

« Ah ? Je me demande bien pour­quoi je te tiens alors… » répli­qua l’auteur avec un léger ton iro­ni­que.

« Cette joute ver­bale ne rime à rien… »

« Juste, nous som­mes en prose ! » rebon­dit la bou­che taquine.
 
« … »

« Tu sous-entends que le dra­gon, c’est moi qui…  ? Oh… Je dois le vain­cre à l’inté­rieur de moi ? Com­ment ?! »

La plume haussa ses bar­bes et se tourna vers le vor­tex qui com­men­çait à chan­ger de cou­leur…

 « … Hey ! J’ai envie de la faire, cette révo­lu­tion ! Et d’aller voir, d’aller dis­cu­ter avec ces per­son­nes ! Pour­quoi tu veux qu’on aille s’embar­quer dans ce vor­tex ? »

L’auteur décida de se met­tre dans la posi­tion du lotus, face au dra­gon. Les con­tours de ce der­nier com­men­cè­rent à deve­nir flou…
Sou­dain, tout s’anima de nou­veau… mais le vor­tex avait grossi et l’englou­tit avec sa plume, ne lui lais­sant pas savoir si il avait réussi, ne lui lais­sant pas le choix.

Lorsqu’ils s’incar­nè­rent de nou­veau, le vor­tex, cette fois, se referma. Ils étaient reve­nus près de la bulle de Gel… L’homme grom­mela, se pro­met­tant de reve­nir visi­ter le pré­cé­dent « lieu » dès que pos­si­ble, d’une manière ou d’une autre…
 
Suite, avec début légè­re­ment revu, à lire en cli­quant ici

Pas­cal Lama­chère - 27 sep­tem­bre 2012