La mon­dine bas­cule de telle sorte qu’elle est dos au vide. Un cer­cle noir com­posé de gelées s’est formé autour. Le temps sem­ble s’être sus­pendu, ou plu­tôt le corps de la créa­ture au-des­sus du vide. Elle « pro­fite » de cet ins­tant de répit pour ouvrir ses mains comme pour une obole. La masse argen­tée pal­pite et scin­tille vert, les glo­bes ocu­lai­res au bout de fila­ments sui­vent le rythme des ondu­la­tions. Greendle se sent attiré, aspiré par les tré­fonds, les abî­mes con­te­nus dans ce drôle de regard. Il a l’impres­sion de quit­ter son corps, que son âme s’engouf­fre dans une brè­che lumi­neuse-bru­meuse et se perd dans celle de Corian­the. Dans la fou­lée impal­pa­ble, les lois de la gra­vi­ta­tion ont de nou­veau cours, le cer­cle noir monte, fuse et devient une sphère, un tapis d’obsi­dien­nes qui épouse les con­tours de la bulle trans­lu­cide de l’humain. Elle se con­tracte et…

- Noon !! se prit à crier Greendle en se réveillant… aux pieds du lit, une dizaine de minu­tes avant que son réveil n’ouvre les écou­tilles musi­ca­les. 

L’explo­ra­teur de rêves resta un ins­tant comme sonné, allongé sur le flanc droit, sans draps pour le cou­vrir, nu. Un arrière goût amer sem­bla s’entê­ter à le trou­bler. Il ne sut si c’est parce qu’il n’avait pu agir dans son rêve et s’était trouvé spec­ta­teur d’un drame, si c’est parce qu’il était tombé et n’avait pas bien dormi ou si c’est parce que des désa­gréa­bles pans de son passé avaient res­surgi. Il se hâta d’ancrer avec la plume dorée les bri­bes, tenta de gar­der le fil, de le retrou­ver jusqu’à ce qu’il ait le sen­ti­ment d’avoir réu­nie toute l’écume de l’uni­vers des esprits de cette nuit.

Notre jeune anglais pour­sui­vit son « rituel mati­nal ».

Face à l’ordi­na­teur, il savoura un mail de Liloo : quel­ques vers ami­caux à son inten­tion accom­pa­gnés d’une invi­ta­tion à se ren­con­trer à un con­cert de leur étoile chan­teuse com­mune.

 « … En par­lant de con­cert, je me suis dis qu’on pour­rait se retrou­ver à un des con­certs de Michael ? J’ai réussi à avoir un billet pour la pre­mière, mais je puis le reven­dre et en ache­ter pour une autre. Tu me feras visi­ter Lon­dres ? Je pour­rais peut-être ensuite venir quel­ques jours à Tou­louse, si tout se passe bien !

Ton amie,
Liloo »

Greendle lâcha un « Yes ! » de joie et se dode­lina sur sa chaise. Trop timoré, bien qu’il la savait aussi fan de bambi, il n’avait pas osé lui pro­po­ser cette pos­si­bi­lité, ni même tout sim­ple­ment l’invi­ter. Il s’empressa de lui répon­dre qu’il s’en fai­sait une joie, qu’il se débrouille­rait pour trou­ver un billet de con­cert le même jour, voire deux côte à côte, et qu’il lui con­coc­te­rait un séjour lon­do­nien de rêve.

Impré­gné de bonne humeur, il enleva sa che­mise noire, vêtit une jaune canari à la place et « oublia » sa veste en cuir lorsqu’il quitta les lieux d’un pas guille­ret. La suite de la jour­née ne fut pas en reste de sur­pri­ses, bon­nes, mau­vai­ses ou juste… sur­pre­nan­tes.

Sur le che­min d’un repor­tage autour des artis­tes de rue, aux bords d’une berge du canal du midi, le pho­to­gra­phe-repor­ter crut hal­lu­ci­ner lorsqu’une gre­nouille s’étala sur sa galo­che gau­che…

- Oh my god ! Qu’est-ce qui t’arrive ? C’est un fran­çais qui te course, pour que tu fas­ses pas atten­tion où tu bon­dis ? ou une prin­cesse à croi­ser ta mire ?

… et encore plus lorsqu’il se prit à lui faire à peu près la même con­ver­sa­tion que celle qu’il avait écrite la veille et qu’il eut l’impres­sion de com­pren­dre ses « coa ! ». Il secoua la tête, se pinça, invita gen­ti­ment l’amphi­bien à aller voir ailleurs et remit un pied devant l’autre. Il accé­léra le pas lorsqu’il enten­dit de nou­veaux coas­se­ments.

Cette étrange scène aurait pu lui faire l’effet d’une gau­driole du des­tin, si ce n’est le carac­tère légè­re­ment effrayant à ses yeux de vivre une scène qu’il avait ima­giné. Greendle éprouva d’ailleurs le besoin d’en par­ler à un col­lè­gue ami, au dîner, dans une bras­se­rie en face de la place du Capi­tole, sous les arca­des en bri­que ocre.

- Gri-gri, c’est une syn­chro­ni­cité de Jung. C’est un sujet très inté­res­sant, mais te prends pas la tête des­sus. Même si tu sais faire la part des cho­ses, on peut voir des signes par­tout dès que la cer­velle se met en mode… euh… cor­ré­la­tion, asso­cia­tion… et sur­tout, je pense pas qu’il faille les inter­pré­ter !

- Hmm… tu as rai­son. Mais dis-moi, Lau­rent, y a plu­sieurs types de syn… chro­ni­cité ? demanda Greendle à son pair, l’air un peu ailleurs, le regard dans sa salade de chè­vre chaud, flan­qué de son por­ta­ble à gau­che, au bord de la table.

Lau­rent, un peu plus âgé que notre scri­bouillard, la barbe d’un barou­deur pen­due au visage, s’était pris de sym­pa­thie au point qu’il jouait le rôle de « pro­tec­teur » avec celui qu’il aimait sur­nom­mer son « gri-gri vivant », et de temps en temps « pud­ding exporté » lorsqu’il vou­lait le char­rier. Par­fois un peu trop au goût du gri-gri.

- Euh… non, enfin, pas à ma con­nais­sance. J’ai parlé de syn­chro­ni­cité de Jung parce qu’il a déve­loppé toute une thèse des­sus. D’ailleurs, de ce que je me sou­viens, il lui est repro­ché d’être resté un peu flou. Tu pour­ras en savoir plus sur le net !… lui répon­dit l’ami Lau­rent sur un ton empli de bon­ho­mie à son égard, les yeux vifs tour­nés vers une ser­veuse qui s’était appro­chée d’une table voi­sine occu­pée par un cou­ple de per­son­nes âgées.

Un léger sou­rire amusé se fen­dit sur les lèvres de l’anglais. Il fit un signe de tête entendu, posa les mains sur l’umpc… mais n’alla pas plus loin dans son élan. La télé­vi­sion de l’éta­blis­se­ment avait attiré son atten­tion. Des ima­ges d’un vol­can en érup­tion défi­laient, ainsi que cel­les d’un vil­lage qui avait été dévasté par le déchaî­ne­ment de dame nature et dont quel­ques bâti­ments étaient en feu.
« Comme dans mon rêve… » se dit Greendle dont l’air était devenu grave.

- Gri-gri ?! Tu devrais finir ta salade avant que les vol­cans du Mas­sif Cen­tral ne se réveillent ! Sinon c’est plus du chè­vre chaud que tu vas man­ger mais… com­mença à taqui­ner son com­parse.

- C’est juste une nou­velle… truc de Jung ! coupa le rêveur, agacé, le regard lourd de repro­ches.

Lau­rent fut décon­te­nancé et se con­tenta d’haus­ser les épau­les, pour toute com­mu­ni­ca­tion, avant de se tour­ner vers la ser­veuse et de lui deman­der l’addi­tion, tout sou­rire. Greendle, dont l’assiette n’était qu’à moi­tié enta­mée, n’y prê­tait déjà plus atten­tion, la tête levée pour voir la suite et fin du « repor­tage sen­sa­tion­nel » qui se clô­tura sur une jeune femme entou­rée de flam­mes et con­trainte de sau­ter entre un plan­cher cramé. Là encore, le « pud­ding exporté » fit le paral­lèle avec son rêve, et sa bonne humeur fut ache­vée pour le reste de la jour­née, du moins jusqu’à la fin de soi­rée…

Un peu avant de se cou­cher, après la lec­ture d’un mes­sage laco­ni­que de Liloo…

« Okii !
Bises,
@ + »

et la con­sul­ta­tion d’autres, notre scri­bouillard retrouva un sem­blant de sep­tième ciel grâce au der­nier : le rédac­teur en chef du jour­nal anglais pour lequel il était cor­res­pon­dant, lui pro­po­sait de rem­pla­cer un jour­na­liste sur la cou­ver­ture du pre­mier show que devait don­ner mis­ter Jack­son. Cela sous-enten­dait un billet gra­tuit. Il ne se fit pas prier et répon­dit immé­dia­te­ment par la posi­tive.

Ainsi, aussi sou­riant que s’il avait été invité à se ren­dre à une soi­rée pré­si­dée par la reine d’Angel­terre, gri-gri rejoi­gnit la dimen­sion de Mor­phée sur un petit nuage…

« I said i will come back ! » résonne dans la brume.

L’humain sur­saute, puis se sent pétri­fié. Des bruits de pas cou­rant bruis­sent à leur tour. Quand Greendle retrouve l’étin­celle pour se mou­voir, un dia­blo­tin prend forme devant lui, en lieu et place d’une tran­che de vapeur.

- I said i will come back ! déclare-t-il vic­to­rieux, avec le ton et la manière, four­che à la main ten­due vers le haut.

à sui­vre / to be con­ti­nued - cli­quez ici pour lire la suite

© Pas­cal Lama­chère – avril-août 2009


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