Un roman, un recueil, des pay­sa­ges let­trés, c’est une his­toire d’amour entre un auteur et les souf­fles musés, un oeil obser­va­teur qui épouse son envi­ron­ne­ment pour l’empor­ter ailleurs, le modi­fier à son grès ou non… Mais qu’en est-il du con­te­nant ? Une fois ancré dans le « réel », l’his­toire peut encore être encrée de dif­fé­ren­tes maniè­res. Com­mence alors un « conte », une autre his­toire d’amour qui impli­que dif­fé­rents corps de métier, des « artis­tes » qui nous per­met­tent d’avoir entre nos mains ce qui, au départ, pou­vait être qu’une vague ombre d’idée impal­pa­ble, quel­ques gout­tes en dor­mance.

A l’heure de la déma­té­ria­li­sa­tion de cer­tains biens, nous som­mes encore très nom­breux à pré­fé­rer avoir un beau livre en main, pour son odeur, son tou­cher, un con­fort de lec­ture plus mieux, plus libre, plus agréa­ble… Cepen­dant, même si les ebooks ont aussi leurs avan­ta­ges, un tapus­crit, manus­crit brut de cla­vier-plume, mérite aussi d’être embelli. Et, en fait, quel que soit le « sup­port final », c’est cela, la typo­gra­phie qui cons­ti­tue l’objet de ce cla­viar­dage, et non un débat entre le numé­ri­que et le papier. Et ce n’est pas parce que c’est la crise que nous devons met­tre au pla­card la valeur ajou­tée, le savoir faire, l’amour des bel­les « let­tres ». Au con­traire !

A l’atten­tion des dif­fé­rents acteurs (auteurs, édi­teurs, librai­res) et spec­ta­teurs (lec­teurs) de l’uni­vers lit­té­raire, afin de vous faire (re)décou­vrir le métier de typo­gra­phe, je laisse la parole à mon­sieur Oli­vier Mar­cel­lin, autour de quel­ques ques­tions. Pour en savoir plus, vous trou­ve­rez l’url de son blog-site à la fin.

* Tout d’abord, cela doit vous brû­ler le cla­vier, une petite pré­sen­ta­tion de votre métier ?
Mon métier de typo­gra­phe (le terme gra­phiste est pré­féré actuel­le­ment) con­siste à uti­li­ser les carac­tè­res à bon escient.
En pre­mier lieu, il s’agit d’effec­tuer un choix adapté en fonc­tion du con­tenu tex­tuel.
Ainsi la com­po­si­tion typo­gra­phi­que d’un annuaire est très dif­fé­rente de celle d’un ouvrage lit­té­raire, ou encore d’un jour­nal.
Une fois sélec­tionné le ou les carac­tè­res qui vont com­po­ser les tex­tes (ils sont sou­vent asso­ciés en cou­ple titre et texte cou­rant), la con­cep­tion gra­phi­que prend le pas sous un second volet de com­pé­tence tout aussi exi­geant.
Je me réfère à plus de 500 ans d’his­toire de la typo­gra­phie et de la mise en pages, ce qui m’a demandé un appren­tis­sage d’une dizaine d’année avant de com­men­cer à me sen­tir à l’aise dans l’exer­cice de cette dis­ci­pline.

* Qu’est-ce qui vous a donné envie de l’exer­cer ? Pou­vez-vous nous par­ler un peu de vous ?
Je suis sen­si­ble aux arts gra­phi­ques et au savoir livres­que depuis mon enfance, je pen­sais d’ailleurs deve­nir artiste pein­tre.
Mais j’ai décou­vert les métiers du design à tra­vers des étu­des en arts gra­phi­ques, avec un BTS expres­sion visuelle au début, pour me spé­cia­li­ser ensuite en créa­tion typo­gra­phi­que.
Aussi, je me suis tout natu­rel­le­ment inté­ressé à la mise en pages au début, puis à la micro-typo­gra­phie et à l’usage des grilles har­mo­ni­ques, puis enfin à tra­vers l’écri­ture (écrire est une seconde pas­sion).
J’ai obtenu une maî­trise d’art en créa­tion typo­gra­phi­que à l’École supé­rieure Estienne (DSAA créa­tion typo­gra­phi­que).
Au final, j’ai créé un stu­dio de créa­tion entiè­re­ment dédié à ces dis­ci­pli­nes, Tex­tua­lis, ainsi qu’un site inter­net péda­go­gi­que dans le cadre d’inter­ven­tions uni­ver­si­tai­res, Objets livres.

* J’ima­gine qu’il doit y avoir une dif­fé­rence de qua­lité, de même que le soin apporté au con­tenu d’un livre à l’autre par un même auteur est rare­ment « égal ». Y a-t-il des ouvra­ges sur les­quels vous avez tra­vaillés et dont vous êtes le plus fier ? Y a-t-il des ouvra­ges faits par vos pairs, ou nos ancê­tres, qui cons­ti­tuent, pour vous, des réfé­ren­ces en matière de typo­gra­phie ?
J’ai eu l’oppor­tu­nité de tra­vailler au côté du gra­phiste Phi­lippe Ape­loig (par ailleurs affi­chiste et direc­teur artis­ti­que du Lou­vre) sur un ouvrage d’art Style Japon édité chez Phai­don et quel­ques autres chez d’autres édi­teurs. Mais mon état d’esprit me donne effec­ti­ve­ment envie de par­ler plu­tôt de mes pairs. Le typo­gra­phe alle­mand Jan Tschi­chold a for­ma­lisé ses recher­ches à tra­vers de nom­breux manuels pra­ti­ques qui cons­ti­tuent tou­jours aujourd’hui une immense réfé­rence, il a été direc­teur artis­ti­que aux édi­tions Pen­guin à Lon­dres après guerre.
Il en est de même avec l’influence de Jost Hochuli, con­cep­teur gra­phi­que suisse et auteur du célè­bre ouvrage Desi­gning books édité chez Hyphen Press.
En France, et tou­jours dans la même période, Robert Mas­sin et Pierre Fau­cheux ont inven­tés tous les deux le métier de gra­phiste dans notre pays, de part leur con­tri­bu­tion aux clubs des livres, mais aussi, à tra­vers des créa­tions chez de grands édi­teurs, parmi les­quels Gal­li­mard pour Mas­sin. Ce der­nier à conçu la col­lec­tion « Folio » à fond blanc et au carac­tère uni­que : le Bas­ker­ville, ou encore la col­lec­tion « l’Ima­gi­naire » pré­sen­tant le choix d’un carac­tère uni­que pour cha­cune des cou­ver­tu­res, c’est-à-dire une solu­tion inverse à Folio (qui mise sur la varia­tion des ico­no­gra­phies), tout cela dans les années 70.
Ces ouvra­ges sont tou­jours dis­po­ni­bles aujourd’hui, même si la col­lec­tion Folio a légè­re­ment évo­luée der­niè­re­ment (chan­ge­ment du carac­tère Bas­ker­ville pour deux autres en asso­cia­tion, auteur et titre de l’ouvrage, ce qui est moins inté­res­sant).
En matière de créa­teurs con­tem­po­rains, j’admire le tra­vail du typo­gra­phe anglais David Pear­son pour les édi­tions Zulma qui exerce dans la grande tra­di­tion des cou­ver­tu­res à motifs. Ses créa­tions se dis­tin­guent de tou­tes les autres en librai­rie (j’invite nos lec­teurs à en faire l’expé­rience), à l’aide d’un gra­phisme ins­piré du mou­ve­ment Op art, si bien que cel­les-ci hyp­no­ti­sent le regard et sus­ci­tent l’envie de s’appro­prier le livre dans les mains. L’enjeu com­mer­cial se marie ici par­fai­te­ment avec un enchan­te­ment visuel.
Mal­heu­reu­se­ment, ce cas de figure est anec­do­ti­que dans la masse de la pro­duc­tion lit­té­raire.

* Quelle est votre vision de l’évo­lu­tion du mar­ché du livre ? Ce que vous espé­rez ?
Pour des rai­sons à priori éco­no­mi­ques, le mar­ché du livre a occulté le métier de typo­gra­phe qui est pour­tant inti­me­ment lié à son ori­gine.
Para­doxa­le­ment, il y a une nor­ma­li­sa­tion de l’aspect gra­phi­que des livres chez les grands édi­teurs fran­çais, c’est par­ti­cu­liè­re­ment le cas de la com­po­si­tion des pages inté­rieu­res qui est délais­sée, étant com­po­sées de manière indus­trielle.
Pour­tant cela repré­sente l’essen­tiel de l’ouvrage, c’est là que l’atten­tion devrait être la plus impor­tante pour un res­pect des tex­tes et des lec­teurs, mais elle est pour­tant négli­gée dans la quasi tota­lité des cas.
Le mar­ché s’est donc orienté vers une dépro­fes­sion­na­li­sa­tion des métiers tra­di­tion­nels, d’autant plus ren­forcé par la tra­di­tion lit­té­raire qui cher­che avant tout à pri­vi­lé­gier le seul con­tenu au dépend du con­te­nant jugé inu­tile.
Pour finir ce tableau som­bre, les for­ma­tions aux métiers du livre com­por­tent le plus sou­vent aucune sen­si­bi­li­sa­tion à l’his­toire gra­phi­que.
Il y a là sûre­ment un réel man­que de sen­si­bi­lité qui fait défaut pour de futurs pro­fes­sion­nels édi­teurs ou bien direc­teurs édi­to­riaux, car le juge­ment de qua­lité ne peut se faire que par l’ensei­gne­ment et par la com­pa­rai­son.
Cela pour­rait s’appa­ren­ter à la recher­che du goût qui fait défaut, car je suis con­vaincu d’une bonne volonté des édi­teurs, mais il est impos­si­ble de faire évo­luer ces bon­nes inten­tions s’il n’y a pas de péda­go­gie ou encore d’expo­si­tions.
Les pro­fes­sion­nels typo­gra­phes parmi les­quels je suis issu (que l’on estime à une cen­taine dans notre pays) sont pour­tant bien à l’appel mais l’édi­tion con­ti­nue à se faire inva­ria­ble­ment sans nous, ce qui con­tri­bue iné­luc­ta­ble­ment à notre dis­pa­ri­tion, en con­tra­dic­tion avec les longs efforts mis en place pour nous for­mer.
Les col­lec­tions de romans pour­raient pour­tant faire part d’une plus grande qua­lité de com­po­si­tion des pages inté­rieu­res, par de biens meilleurs choix typo­gra­phi­ques et de la mise en forme du texte.
Face à l’essor du Web, il y aurait pour­tant matière à inno­ver.
Cela ne coû­te­rait pas plus cher, étant donné que nous som­mes cons­ti­tués en micro-struc­tu­res arti­sa­na­les.

* Quel­ques der­niers mots, der­niè­res pen­sées, « pour la route » ?
L’objet livre est le con­traire du livre objet, il s’agit très modes­te­ment du sup­port de la pen­sée lit­té­raire… et gra­phi­que.

Merci !

(Pour en savoir plus, vous êtes invi­tés à visi­ter Objets Livres : http://www.objets­li­vres.fr

{opti­misé pour les navi­ga­teurs Safari et Fire­fox sur MacOs})